Pedro Sanchez, après sa victoire à la primaire du PSOE, à Madrid, dimanche 21 mai. | PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Pedro Sanchez a obtenu sa revanche. Dimanche 21 mai, les militants l’ont réélu à la tête du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) lors d’une primaire interne décisive pour l’avenir de la formation. Cet économiste, candidat malheureux aux dernières élections, promet un virage à gauche, une opposition ferme au gouvernement conservateur de Mariano Rajoy et un rapprochement avec le parti de gauche radicale Podemos.

Contre tout pronostic, alors qu’il avait tout l’appareil du PSOE contre lui et qu’il a eu recours au financement participatif pour sa campagne, M. Sanchez a obtenu 50,2 % des suffrages, loin devant sa grande rivale, la présidente de l’Andalousie, Susana Diaz (39,9 %), et l’ancien président du Pays basque, Patxi Lopez (9,9 %). Le taux de participation de cette élection-clé pour l’avenir du PSOE a atteint les 80 %. Le résultat de la primaire sera validé lors d’un congrès, les 17 et 18 juin à Madrid, qui pourrait rétablir la paix ou faire exploser la formation.

Par ce choix, les militants portent un coup dur aux grands ténors du parti et aux principaux « barons » régionaux, qui avaient poussé Pedro Sanchez à la démission en octobre 2016. Les dirigeants socialistes critiquaient alors ses mauvais résultats électoraux lors des élections législatives de décembre 2015 et de juin 2016 (90 puis 85 députés sur les 350 du Parlement espagnol).

Ils ne comprenaient pas son refus obstiné, érigé en mantra – le « no es no » (« non, c’est non ») –, de faciliter l’investiture de M. Rajoy, arrivé en tête aux deux élections mais sans majorité absolue. Et ils ne toléraient pas ses tentatives de sceller, dans le dos du comité de direction du PSOE, une alliance avec le parti de la gauche radicale Podemos et les indépendantistes catalans afin de devenir président du gouvernement. « Le virus du populisme a gagné une nouvelle bataille, affirme un président de région socialiste proche de Susana Diaz, au Monde. Je ne pense pas que le parti va se rompre mais tout dépend de celui qui en a la responsabilité. »

L’élection de M. Sanchez à la tête du parti marque aussi une rupture avec le PSOE historique, celui des anciens présidents du gouvernement Felipe Gonzalez et José Luis Rodriguez Zapatero, qui avaient donné leur soutien à Mme Diaz. Le soutien des militants contraste avec l’hostilité qu’il suscitait aussi dans les principaux médias, à commencer par El Pais, journal de référence des électeurs socialistes, qui a comparé l’élection de M. Sanchez au vote des Britanniques en faveur du Brexit : « La victoire de Sanchez n’est pas étrangère au contexte politique de crise de la démocratie représentative dans laquelle s’imposent avec facilité la démagogie, les demi et fausses vérités et les promesses impossibles à tenir. »

Deux modèles opposés

« Rien ne termine aujourd’hui mais tout commence, a déclaré le nouveau secrétaire général. Nous allons faire du PSOE le parti de la gauche de ce pays, et mon engagement reste ferme : unir le parti. » Susana Diaz, le visage décomposé, s’est mise « à disposition du PSOE », évitant soigneusement de prononcer le nom de son rival, et demandant que la formation soit une « alternative de gouvernement avec un projet cohérent, solide et autonome » – sous-entendu de Podemos.

La première tâche de M. Sanchez sera de recoudre un parti divisé, fracturé entre deux modèles opposés. En matière de fonctionnement interne, les divergences sont profondes. Alors que sa rivale entendait encadrer et limiter la participation directe des militants, M. Sanchez, opposé au « PSOE des notables » comme il dit, aimerait consolider les attributs du secrétaire général et renforcer son pouvoir et son autonomie par rapport aux organes de direction collégiaux, tout en augmentant la fréquence et le nombre de consultations auprès des militants.

Sur les questions politiques et économiques, les différences sont aussi importantes. Alors que Susana Diaz défendait les principes de la social-démocratie, M. Sanchez a annoncé son intention d’effectuer un virage à gauche pour récupérer « l’essence du socialisme », de la « vraie gauche » et construire « une nouvelle social-démocratie » qui lutte « contre le néolibéralisme » et ses « conséquences économiques et sociales ». Il est prêt pour cela à s’allier avec Podemos, avec qui Mme Diaz voulait au contraire mettre le plus de distance possible, elle qui gouverne en Andalousie avec le soutien du parti centriste et libéral Ciudadanos.

Fervent opposant à l’abstention des députés socialistes qui a permis à Mariano Rajoy d’obtenir l’investiture du Parlement, et ainsi d’éviter de troisièmes élections législatives en un an, le nouveau patron des socialistes n’entend en aucun cas collaborer avec le Parti populaire (PP, droite). Il a déclaré durant la campagne que sa première décision, une fois élu, serait de demander la démission de M. Rajoy, du fait des scandales de corruption qui éclaboussent sa formation.

La victoire de Pedro Sanchez pourrait ainsi avoir des conséquences directes sur la stabilité de l’exécutif. En refusant de négocier tout accord ou toute loi avec le PP, le secrétaire général pourrait inciter le chef du gouvernement à convoquer de nouvelles élections. Ou provoquer son départ par une motion de censure, comme celle qu’a déposé Podemos vendredi 19 mai. Pour être effective, celle-ci doit être « constructive » : elle doit s’accompagner de la présentation d’une candidature alternative capable d’obtenir la majorité absolue au Parlement. Pedro Sanchez, qui s’est dit prêt à se lancer « droit vers la Moncloa », le palais du chef de gouvernement, pourrait être tenté par cette perspective.