Le terminal pétrolier de Zueitina, dans le nord-est de la Libye, le jour de sa prise de contrôle par l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar, le 14 septembre 2016. | ABDULLAH DOMA / AFP

Les condamnations de la communauté internationale se sont multipliées ce week-end, après la tuerie perpétrée, jeudi 18 mai, contre un camp de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar dans le Sud libyen. Le bilan de l’attaque oscille, selon les sources, entre 75 et 141 morts. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a exprimé « sa profonde inquiétude » tandis que la Ligue arabe a dénoncé une « attaque barbare ».

Selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), des « exécutions de masse » ont pu avoir lieu durant l’assaut de cette base, située à Brak Al-Shati, à 70 kilomètres au nord de Sebha, la principale ville de la région méridionale du Fezzan, par des forces liées au gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj.

Un porte-parole de l’ANL a fait état de 141 tués, tandis que HRW cite une source de l’hôpital de Brak Al-Shati rapportant avoir « reçu 75 morts » vendredi. Les victimes sont des soldats de l’ANL mais aussi des civils employés dans le camp. Selon les sources de HRW, tous les soldats tués – une trentaine selon les premiers décomptes – portaient des traces de balles dans la tête.

Infographie Le Monde

Embarras à Tripoli

Le massacre risque fort de briser l’espoir de paix, déjà très fragile, né le 2 mai de la rencontre à Abou Dhabi, aux Emirats arabes unis, des deux principaux protagonistes de la crise libyenne, Faïez Sarraj, le chef du gouvernement d’« union nationale » soutenu par l’ONU, et le maréchal Khalifa Haftar, chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL). Ce dernier n’a d’ailleurs pas tardé à riposter en lançant, samedi, des raids aériens contre ses adversaires dans la région de Jufra, au nord de Sebha. A Tripoli, l’embarras est profond au sein du conseil présidentiel, la structure dirigeante du gouvernement d’« union nationale », en raison de ses liens avec la Troisième Force, le groupe armé responsable de l’attaque de la base de Brak Al-Shati.

Composé majoritairement de combattants originaires de Misrata, la grande cité portuaire de la Tripolitaine (nord-ouest), cette Troisième Force tentait ces derniers mois de contenir la poussée de l’ANL dans le Sud. Le conseil présidentiel a décidé, vendredi, de « suspendre » de ses fonctions le ministre de la défense, Mahdi Al-Barghathi, en attendant les conclusions d’une commission d’enquête. Lié à des groupes irréductiblement anti-Haftar, M. Barghathi était déjà l’inspirateur d’assauts contre les positions de Khalifa Haftar dans le Croissant pétrolier (nord-est), au risque de compromettre le dialogue politique préconisé par les Nations unies.

Opposition sur le fond

Depuis plus d’un an, la Libye est fracturée entre le gouvernement d’« union nationale » de M. Sarraj, basé à Tripoli et activement soutenu par les capitales occidentales, et un pouvoir concurrent contrôlant la majeure partie de la Cyrénaïque (est) sous l’égide du maréchal Haftar, appuyé par l’Egypte et les Emirats arabes unis. Le 2 mai, les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois depuis seize mois, un « coup » diplomatique des Emirats arabes unis avec le soutien actif de l’Egypte. Il est toutefois vite apparu que les deux dirigeants, au-delà d’un appel formel à un cessez-le-feu dans le Sud, s’opposaient toujours sur le fond. Pour preuve, ils n’ont pas été capables de publier un communiqué commun, chacun diffusant le sien propre.

M. Haftar a insisté sur la « poursuite de la guerre contre le terrorisme », une manière de conforter ses fonctions de chef de l’ANL qui se targue de l’éviction de nombre de groupes djihadistes de la grande ville de Benghazi, dans l’est du pays. De son côté, M. Sarraj mettait l’accent sur la nécessité d’achever le « transfert pacifique du pouvoir », une référence à l’accord de Skhirat (Maroc) de décembre 2015 lui confiant le pouvoir à la tête du conseil présidentiel.

La grande difficulté de M. Sarraj est qu’il dépend lourdement au plan militaire des milices de Misrata. Fortes de leur combat héroïque lors de l’insurrection anti-Kadhafi en 2011, nombre de ces dernières se déclarent résolues à combattre M. Haftar, derrière lequel elles voient un retour des réseaux kadhafistes. Si M. Sarraj devait aller trop loin dans le dialogue avec M. Haftar, il risquerait de voir se retourner contre lui ses plus sûrs soutiens militaires en Tripolitaine. Déjà, l’hostilité à M. Sarraj monte à Misrata. La rencontre d’Abou Dhabi n’a pas permis de surmonter cette contradiction. Le massacre de Brak Al-Shati risque fortement de l’exacerber.