L’Afrique regorge de documentaristes de talent. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur la sélection du Festival international du film documentaire d’Agadir (Fidadoc), dont la neuvième édition s’est déroulée du 8 au 13 mai au Maroc. Parmi les réalisateurs présents, le Malien Ousmane Samassekou, lauréat du grand prix Nouzha-Drissi pour son film Les Héritiers de la colline, qui raconte les dérives de l’Association des élèves et étudiants du Mali, véritable école du pouvoir pour apprentis politiciens.

Citons aussi la Nigérienne Amina Weira, auteure de La Colère dans le vent, qui décrit à travers les yeux de son père, mineur retraité, sa ville d’origine, Arlit, où l’entreprise française Areva exploite l’uranium depuis 1971. Un troisième exemple : le Burkinabé Simplice Ganou, qui, dans son film Le Koro du Bakoro, naufragés du Faso, fait le portrait de Polo, 29 ans, qui vit dans la rue depuis l’âge de 12 ans.

« Que le film n’échappe pas au producteur africain »

« Ces films que nous aidons à développer commencent à voyager et ces réalisateurs à se faire connaître, se réjouit Hicham Falah, délégué général du Fidadoc. Mais souvent, les producteurs africains ne sont pas à la hauteur des exigences. Ils sont peu nombreux à comprendre l’enjeu de la création documentaire : l’accompagnement dans l’écriture du film, la recherche de fonds, le déploiement d’une stratégie à l’international… Tout ça est lié à un manque de formation. »

C’est pour relever ce défi de la production que le Fidadoc a accueilli un atelier « Produire au Sud », en partenariat avec le Festival des 3 Continents de Nantes (France). Six projets portés par des producteurs africains ont été retenus. Pendant six jours, ils ont pu échanger avec d’autres producteurs forts de plusieurs années d’expérience, mais aussi avec un scénariste et un juriste. Tous se sont entendus sur un point : ils manquent de formation.

Le Sénégalais Mamadou Sellou Diallo est enseignant chercheur en cinéma à l’université Gaston-Berger, à Saint-Louis – où un master « documentaire de création » a vu le jour en 2007 –, mais aussi cinéaste et producteur, via la société Les Films de l’atelier. Il porte le projet du réalisateur sénégalais Mamadou Khouma Gueye, Les Musiciens du vendredi, qui raconte l’inventivité des habitants d’un bidonville de Dakar qui, chaque jeudi soir, se transforme en véritable scène musicale. « Je suis devenu producteur par accident, explique Mamadou Sellou Diallo. Il n’y a pas de producteurs de documentaires au Sénégal, alors pour faire exister des œuvres, il faut parfois sacrifier son propre désir de cinéma. »

Il a déjà l’expérience de coproductions à l’international et souligne la violence de l’exercice. « Il m’est arrivé de me retrouver sans rien à l’issue d’une coproduction. Rien de mon apport en temps, en énergie, en imaginaire, n’avait été pris en compte et valorisé dans le contrat. A croire qu’il n’y avait que l’apport financier qui comptait. » Aujourd’hui, Mamadou Sellou Diallo ne veut s’associer qu’à des sociétés de production qui sont dans « l’intelligence de la création ». « Il nous faut trouver des arrangements pour que le film n’échappe pas au producteur et au réalisateur africain », souligne-t-il.

« Bien lire un contrat avant signature »

Plusieurs producteurs expriment le désir de développer des productions Sud-Sud en y associant le Nord pour trouver les fonds qui manquent en Afrique. Un objectif que vise aussi l’atelier « Produire au Sud ». « Il s’agit de permettre aux producteurs du Sud de se rencontrer et de se connaître, ce qui peut leur donner ensuite l’envie de collaborer sur des projets », explique Guillaume Mainguet, coordinateur du programme « Produire au Sud » au Festival des 3 Continents de Nantes, tout en rechignant à utiliser les formulations « Nord-Sud » ou « Sud-Sud », qu’il juge presque archaïques du fait de l’émergence au Sud de nouvelles puissances mondiales.

Dieudonné Alaka, producteur camerounais (Kopa House), s’inscrit déjà dans cette logique. A Agadir, il accompagne le réalisateur burkinabé Yssouf Koussé pour présenter le film Massata Cissé, qui raconte l’histoire d’une femme, conductrice de camion à travers l’Afrique de l’Ouest, qui rêve de s’acheter son propre véhicule et espère transmettre sa passion du métier à son petit-fils. Pour ce film, Dieudonné Alaka souhaite associer une société de production du Nord, mais reconnaît la complexité d’une telle collaboration. « Il faut savoir gérer les contrats, faire un budget, répartir les recettes… Tout ça ne s’invente pas, il faut l’apprendre. »

La Marocaine Merieme Addou produit quant à elle le projet de sa compatriote Zineb Chafchaouani Moussaoui, Pour les âmes pendues, portrait intime de l’oncle de la réalisatrice, militant contre la peine de mort qui a été emprisonné neuf ans sous Hassan II. « Au Maroc, la chaîne 2M, très regardée au Maghreb, coproduit des documentaires marocains. C’est une chance. Mais ailleurs en Afrique, les écrans manquent pour montrer les films », souligne Meriem Addou, qui envisage un développement en coproduction à l’international. L’atelier « Produire au Sud » l’y a bien préparée, assure-t-elle. « Nous avons pu échanger avec un juriste de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), en France, qui nous a par exemple aidés à bien lire un contrat avant signature. »

La compétition est féroce

A l’issue de cette semaine de travail et d’échange sur les questions de production et d’écriture de scénario, les producteurs et réalisateurs africains se sont prêtés à l’exercice du « pitch » : présenter les projets en anglais devant un public et un jury de producteurs et de diffuseurs internationaux. « Nous avons essayé de reproduire les conditions qui existent dans les marchés du film. Il fallait qu’ils présentent en quelques minutes leur projet et suscitent un véritable intérêt chez ceux qui les écoutent, explique le producteur italien Stefano Tealdi. La compétition pour obtenir des fonds est féroce et nous avons fait tout notre possible pour les y préparer. » L’enjeu : que l’Afrique filmée et racontée de l’intérieur, par les Africains eux-mêmes, soit vue aussi au Nord, dans les salles de cinéma ou à la télévision.