Vue du domaine de La Coste, avec, à gauche, « Crouching Spider » de Louise Bourgeois et, à droite, de « The Easton Foundation » de Sean Scully. | The Easton Foundation New York, ADAGP Paris. Photographe Dronimages 2017

Ici, la vigne suit le chemin tracé par l’art. C’est rarissime. En ­général, c’est le contraire : un ­vignoble réputé élargit ses activités – chambres, restaurant, ­expositions… – pour attirer plus d’acheteurs de vin. Au château La Coste, à 15 km d’Aix-en-Provence, l’offre culturelle est si ambitieuse et si riche que l’on peut venir uniquement pour elle. Cela ne veut pas dire que le vin est quelconque. Du reste, après son grand tour culturel, le visiteur fait un petit tour à la boutique, où les ventes vont bon train. Des rouges, des blancs, surtout des rosés. Logique, on est en Provence.

Des grands noms de l’art et de l’architecture

A La Coste, on passe deux heures, quatre heures, voire la journée. On y déjeune et dîne en plein air – gare aux moustiques. On prend le thé, on regarde un film de Woody Allen ou des frères Coen ­allongé sur l’herbe et sous les étoiles, on assiste à un concert ou à une conférence, on achète un livre, on fait un tour au ­potager, un autre au chai, on découvre des bâtiments signés de grands architectes, et plein d’œuvres d’art. On peut même y dormir, depuis décembre, dans des villas sublimes et très chères. Ou ­découvrir le restaurant gastronomique Louison, dont la cuisine est signée par Gérald Passedat. On traîne à La Coste et le site y contribue. Il est magnifique et bénéficie de trois cents jours de soleil par an. L’été, il tourne à plein régime.

On peut même y dormir, dans des villas sublimes et très chères. Ou ­ découvrir le restaurant gastronomique Louison, dont la cuisine est signée par Gérald Passedat.

Pour y accéder, depuis Aix-en-Provence, il faut emprunter une route qui grimpe au ­milieu des pins et des chênes-lièges, passer le col de la Cride, plonger de l’autre côté pour gagner un amphithéâtre de ­vignes, d’oliviers, de cyprès, de pins et de garrigue. Au milieu de la propriété trône un bâtiment épuré, long, sur un seul ­niveau, fait de béton lisse, de verre et de métal, dessiné par l’architecte japonais Tadao Ando, qu’il a cerné d’un plan d’eau sur lequel semblent danser une araignée de 3 mètres d’amplitude sculptée par Louise Bourgeois et un mobile noir, jaune et rouge de Calder.

Ce bâtiment, qui réunit l’accueil, le restaurant, un café, la librairie, a pour nom « centre d’art », ce qui donne le ton. Tout est art. Jusqu’au costume sobre du personnel. Le visiteur gare sa voiture en sous-sol, au frais. Revenu à la surface, il prend mieux la mesure du cadre. La Coste est une propriété de 220 hectares, d’un seul tenant. Aucune maison vilaine ne ­gâche la vue. Au loin, un village en ruine. Une ancienne route de brigands sur le côté. La vigne ne domine pas. 123 hectares plantés, à peine la moitié du domaine, ce qui est atypique et confirme le concept : « Il n’y a pas que le vin à La Coste. » Il y a d’abord cette colline arborée, plantée de chênes truffiers, qui se développe en pente douce sur la gauche en entrant, où se concentre le parcours artistique.

Un concert donné au « Pavillon de musique » construit par Frank O. Gehry | Château La Coste 2017

Il en coûte 15 euros pour découvrir ­celui-ci. Avec interdiction de pique-niquer – « les artistes n’aiment pas ». Plan en mains et bonnes chaussures aux pieds, le visiteur emprunte un chemin dans les vignes et dans les bois, ponctué par 28 œuvres en plein air. Le sentier monte, il descend. Il est surtout ludique. Commencer par le pont de Larry ­Neufeld, s’engager sur une passerelle ­au-dessus du vide, s’enfoncer dans une tanière sombre, entrer dans des ­pavillons étranges, découvrir des sculptures monumentales, tomber sur des loups dorés, revenir sur ses pas quand on fait fausse route, Il faut accepter de ­s’égarer. Les ­artistes sont de stature internationale (Louise Bourgeois, ­Richard Serra, Hiroshi Sugimoto, Alexander ­Calder, Sean Scully, Lee Ufan, Jean-Michel Othoniel, Tracey Emin…). Disons qu’ils sont loin d’être tous représentés par des sculptures ­majeures, mais peu importe, leurs œuvres s’intègrent bien dans le paysage, tout comme les panneaux d’explication, ce qui rend le visiteur bienveillant.

Il y a quelques morceaux de bravoure sur le parcours : un cube monumental de pierres de plusieurs couleurs, entre le rouge, le gris et l’ocre, de Sean Scully ; une grotte dont le plafond est constitué de branchages ­menaçants qui forment un immense nid d’oiseau (Andy Goldsworthy) ; une chapelle sculptée par la lumière signée Tadao Ando ; un labyrinthe formel qui a pour ­titre Quatre cubes pour contempler notre environnement, du même Ando. Et puis la nuit tombée, il faut aller voir sur un chemin de planches les fleurs brillantes comme des lucioles de Tatsuo Miyajima – une merveille de poésie.

Exposition « Mountains and Seas » d’Ai Weiwei, au château La Coste. | WeAreContents 2017

L’art ne se résume pas au parcours de sculptures. Il est partout. Dans l’architecture portée par des signatures – un kiosque à musique signé Frank Gehry, un centre d’art dessiné par Jean-Michel ­Wilmotte, et puis, depuis le 8 mai, un ­pavillon pour la photographie conçu par Renzo Piano : creusé dans la terre, pour ne pas heurter la vue. Trois sculptures ­monumentales de Louise Bourgeois vont être mises en valeur. L’art est dans les ­expositions temporaires, avec des signatures là encore haut de gamme : le Chinois Ai Weiwei, jusqu’à fin juin, et la Britannique Tracey Emin ­ensuite pour l’été ; le Japonais ­Hiroshi ­Sugimoto dans le ­pavillon de photographie. L’art est ­encore dans le lobby de l’hôtel et ses chambres : Damien Hirst, Martin Kippenberger, une tapisserie de Fernand ­Léger. L’art est dans le jardin potager dessiné par Louis Benech et animé par des paons. Il est dans deux pavillons de bois fort simples de Jean Prouvé ou encore dans une maison royale du Vietnam du XIXsiècle, où on prenait le thé.

L’art est tellement partout que ceux qui font le vin doivent assimiler le nom des artistes. « C’est une forme d’éducation », dit-on sur place. Et puis l’art est dans le vin.

L’art est tellement partout que ceux qui font le vin doivent assimiler le nom des artistes. « C’est une forme d’éducation », dit-on sur place. Et puis l’art est dans le vin. C’est même par le vin que l’aventure artistique de La Coste a commencé, en 2006, avec la construction d’un nouveau chai confié à Jean Nouvel. Le lieu est à la pointe de la technologie. Mais c’est aussi un geste pur à apprécier comme tel, qui ­signe d’emblée le concept artistique de la propriété. Nouvel a conçu deux bâtiments en enfilade, à 20 mètres l’un de l’autre, mais désaxés et reliés par le sous-sol. Deux demi-cercles d’aluminium plantés dans le sol, deux belles œuvres minimalistes. L’aluminium brûle à l’extérieur mais apporte la fraîcheur à l’intérieur. De l’arrivée du raisin pendant les vendanges à la mise en carton de six bouteilles, toute la chaîne de fabrication est visible, ce qui est fort utile pour expliquer le processus lors de visites guidées.

Un propriétaire très discret

Qui a construit ce nouveau La Coste ? Allez sur leur site Internet, vous y trouvez tout pour que votre visite soit agréable, vous pouvez même acheter du vin. Mais pas un mot sur le propriétaire. Le propriétaire de La Coste est l’Irlandais Patrick McKillen, né en 1955, qui a acheté le site en 2004. Les employés le surnomment « Paddy ». Sa page Wikipédia ne dit rien ou presque de son parcours. La Coste n’est même pas mentionné. ­McKillen est un homme d’affaires discret et mondialisé. Installé à Londres, il a fait fortune dans l’immobilier, possède des participations dans un empire de bureaux, d’hôtels, de centres commerciaux. Ce proche de Bono, le chanteur de U2, est par exemple copropriétaire à Londres des Hôtels Claridge’s, The ­Connaught et The Berkeley.

Nous sommes allés deux fois à La Coste et M. McKillen n’était pas présent. « Paddy ne donne pas d’interview, mais s’il était là il vous parlerait. » Alors on ­interroge le personnel : le patron vient tous les quinze jours environ, son français est succinct, il parle de La Coste comme de son home, du reste il a laissé quelque part un vieux sofa rouge qui se trouvait dans son premier appartement londonien. On le décrit comme « peu ­démonstratif, mais pouvant hurler comme tout le monde ». On ajoute que son temps est compté, et qu’il tranche vite les problèmes. Patrick McKillen n’est pas là mais Mara, une de ses huit frères et sœurs, vit en permanence à La Coste. On tombe sur elle dans le potager, elle vous accueille avec le sourire, en tenue ­décontractée, chapeau et panier dans les bras. « Je suis tombée amoureuse de cette région il y a vingt-cinq ans. Mon frère aussi. Il a visité toutes les villes autour, a cherché un vignoble, et un jour il a dit que c’était une noble tâche de faire du vin ici. Et puis que c’était trop beau pour ne pas le partager. On a retrouvé le passé de La Coste pour vivre dans notre époque. »

« L’art et le vin se tirent l’un l’autre vers le haut. On ne fait pas du ­tourisme en plus, ou du vin en plus, ou de l’art en plus. C’est un projet global. Et c’est unique en France. » Mathieu Cosse

A La Coste, on fait du vin depuis 200 ans avant Jésus-Christ. Il y a eu les Grecs, les Romains, des moines, des comtes provençaux. La propriété actuelle s’est développée autour d’une sorte de hameau rénové, dominé par une imposante bastide du XVIIe siècle où dorment quelques salariés. Patrick McKillen, lui, est un fou d’architecture et d’art contemporain. Pour le vin, en revanche, il est neuf. Il n’a jamais bu un verre de vin avant ses 40 ans. Mais d’emblée, il veut faire progresser art et vignoble de ­concert. Avec deux responsables.

Unique en France

L’homme de l’art s’appelle Daniel Kennedy, sorte de lutin au sourire généreux qui a travaillé quatre ans au centre d’art White Cube à Londres. « Je suis venu pour trois mois, je suis là depuis cinq ans. » Pour le vin, il y avait du boulot, car il n’était pas bon. « On ne peut pas avoir de grands artistes et de petits vins. » Tout est dit. Par qui ? Par Mathieu Cosse, copropriétaire à Cahors du domaine Cosse-Maisonneuve, recruté par McKillen en 2006 pour faire progresser le vin. Cet ancien rugbyman à la carrure imposante et au verbe réservé ajoute : « Paddy est ­ attiré par tout ce qui est parfait, alors il a mis les moyens. L’art et le vin se tirent l’un l’autre vers le haut. On ne fait pas du ­tourisme en plus, ou du vin en plus, ou de l’art en plus. C’est un projet global. Et c’est unique en France. »

Pour montrer qu’il a fait progresser le vin, ce qui est indéniable, Mathieu Cosse dit simplement : « Ce n’est plus sur le même vin. » Son obsession fut le terroir. Pour expliquer, il convoque lui aussi l’art : « Le vin est une sculpture. » Comprenez : 90 % du travail est sur la ­vigne. Avec pour résultat un label bio en 2009 et un vignoble désormais ­travaillé en biodynamie. En Provence, les vignerons font souvent 80 % de rosé. A La Coste, c’est 45 %, et 35 % de rouge, 20 % de blanc. « On pourrait faire plus de rosé, car il se vend facilement. Mais ce ­serait ­sacrifier le patrimoine. » La Coste commercialise ­entre 700 000 et 750 000 bouteilles par an, en baisse ­depuis le virage qualitatif. Trois couleurs, trois gammes par couleur : ­Pentes douces, qui est le cœur de gamme, Grand Vin et, en 2015, la Grande Cuvée. Le rosé est à 14 degrés de moyenne. « On fait des rosés de bouche : finesse, complexité, fraîcheur aromatique, équilibre. » Il est proposé à 11 euros. « Il a fallu faire accepter un rosé à ce prix-là, on y est arrivé. »

Mathieu Cosse dit que La Coste, finalement, s’inscrit dans une voie qui s’est imposée un peu partout en France : aller vers un vin haut de gamme. Ce qui permet des prix qui vont jusqu’à 50 euros la bouteille, et des vins qui sont vendus sur place, dans la région, à Paris, mais aussi en Suisse, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis…

La Coste est un projet neuf – une bonne dizaine d’années à peine. Le vin est neuf, l’art est neuf. Et tout va très vite. Depuis 2015, on assiste à une grosse montée en puissance. Où cela va-t-il s’arrêter ?

Il y a quelques jours à peine, Mathieu Cosse a quitté La Coste, d’un commun ­accord avec Patrick McKillen. La raison en est simple : l’art et le tourisme culturel semblent être une plus grande priorité que le vin. Ils sont en tout cas plus visibles, pour le plus grand bonheur des visiteurs – ici on ne dit pas touristes. Il y a un côté flamboyant dans ce projet, alors que Mathieu Cosse est d’abord un vigneron bourru à l’ancienne, que l’on sentait gêné par la démesure des projets artistiques et celui de l’hôtel. La Coste est un projet neuf – une bonne dizaine d’années à peine. Le vin est neuf, l’art est neuf. Et tout va très vite. Depuis 2015, on assiste à une grosse montée en puissance. Où cela va-t-il s’arrêter ? Quatre cents à cinq cents personnes viennent chaque jour l’été, 90 000 par an. Pour l’instant, on ne sent pas les foules. Alors profitez-en, passer un moment magique.

Château La Coste. 2750, route de la Cride, 13610 Le Puy-Sainte-Réparade. Tous les jours, de 10 heures à 19 heures. Tél. : 04-42-61-92-92. Expositions Ai Weiwei, jusqu’à fin juin, puis Tracey Emin, du 2 juillet au 3 septembre. Exposition Hiroshi Sugimoto, « The Sea and the Mirror », jusqu’au 3 septembre. Programme sur Chateau-la-coste.com