Emmanuel Macron a toujours prévenu qu’il voulait aller vite sur la réforme du code du travail. Un peu plus de deux semaines après son élection, le président entame, mardi 23 mai, une série d’entretiens avec les responsables syndicaux et patronaux, qui doivent lui exposer leurs exigences.

  • Un président « à l’écoute » pour Laurent Berger (CFDT)

Emmanuel Macron, président de la République, reçoit Laurent Berger (CFDT), au Palais de l’Elysée, mardi 23 mai. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a ouvert le bal des rencontres bilatérales. Il a senti le chef de l’Etat « déterminé à mettre en place ce qu’il avait annoncé » mais « aussi à l’écoute ». M. Berger attend néanmoins de voir « dans les faits » ce qu’il en sera, car M. Macron n’est pas « rentré dans le détail » de sa réforme.

M. Berger a redemandé au président « que la méthode ne soit pas à la hussarde », « c’est-à-dire qu’il n’y ait pas une forme de précipitation » qui donnerait « le sentiment qu’il faudra avoir tout réglé » avant la « fin août ». « De mon point de vue, c’est juste impossible et ça ne laisserait pas le temps suffisant à la nécessaire concertation », a insisté le syndicaliste.

  • Le calendrier a « bougé » selon Philippe Martinez (CGT)

Emmanuel Macron, président de la République, reçoit Philippe Martinez (CGT), au Palais de l’Elysée, mardi 23 mai. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, est ressorti de son entretien avec l’impression que le calendrier du gouvernement sur la réforme du code du travail avait « bougé », y voyant « une bonne nouvelle ».

« Je n’ai pas de date, mais en tout cas, j’ai cru comprendre que l’agenda rapide qui était prévu n’est pas aussi rapide que j’avais cru comprendre. L’échéance de fin août ou du 1er septembre a l’air plus floue », a déclaré M. Martinez, après avoir été raccompagné sur le perron de l’Elysée par M. Macron. « Le timing me semble être plus long que prévu, a-t-il insisté (…). Cela demande confirmation, c’est le sentiment que j’ai eu. »

« Certains sujets mérit [ent] plus de débats qu’une demi-heure sur un coin de bureau. J’ai cru comprendre qu’il était d’accord avec moi en matière de délais de négociation, mais c’est [M. Macron] le président, pas moi. C’est plutôt une bonne chose, puisque ça va permettre de continuer le débat que nous avons eu l’année dernière [sur la loi El Khomri}. »

La réunion avec le président « était une prise de contact, pas le début de la négociation », a poursuivi M. Martinez, appelant pour la suite à une négociation « loyale », où on ne doit « pas découvrir des textes dans la presse ».

  • Le patronat reçu dans l’après-midi

Devaient suivre dans le bureau du président Jean-Claude Mailly (FO) à 11 heures et Pierre Gattaz (Medef) à midi. Les entretiens se poursuivront avec François Asselin de la CPME 15 heures, Alain Griset de l’U2P, l’union des entreprises de proximité, à 16 heures, François Hommeril de la CFE-CGC à 17 heures et Philippe Louis de la CFTC à 18 heures.

  • Une réforme aux contours flous

Hormis le plafonnement des indemnités prud’homales, le regroupement des instances représentatives du personnel et le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur, les contours de la réforme restent flous, tout comme la place laissée aux partenaires sociaux dans son élaboration.

Sur le fond, les grandes orientations voulues par Emmanuel Macron conviennent au patronat, même si la CPME et l’U2P réclament des mesures spécifiques pour les petites entreprises.

Pas de consensus, en revanche, chez les syndicats, notamment sur l’inversion de la hiérarchie des normes que M. Macron veut étendre à tout le code du travail. En 2016, ce principe, qui donne la primauté aux accords d’entreprises par rapport aux conventions de branches et la loi, avait déjà cristallisé la contestation anti-loi El Khomri. Une seule mesure parvient à faire l’unanimité des syndicats, mais contre elle : le plafonnement des indemnités prud’homales.

Par ailleurs, pour les syndicats, pas question que le dialogue social passe à la trappe. Mais le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a prévenu les syndicats qu’ils n’avaient « pas le droit de bloquer la France » même s’ils ne sont « pas d’accord avec telle ou telle mesure, surtout quand elle était au cœur du projet présidentiel ».

Légiférer par ordonnances implique des étapes incontournables

Légiférer par ordonnances est devenu banal. De 2004 à 2013, quelque 357 textes de cette nature ont été publiés au Journal officiel, d’après Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’école de droit de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Plusieurs réformes emblématiques, portant sur le monde du travail, ont été conduites grâce à cette procédure, qui permet d’aller beaucoup plus vite qu’un projet de loi ordinaire. Le général de Gaulle y a eu recours, en 1967, pour créer l’ANPE. Même chose avec François Mitterrand, début 1982, afin de concrétiser deux promesses de campagne : le passage à la semaine de 39 heures et l’instauration de la cinquième semaine de congés payés.

Mais pour aller au bout de leurs intentions, Emmanuel Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe sont tenus de respecter des étapes bien précises. Il faudra, en effet, saisir le patronat et les syndicats. C’est incontournable, depuis la loi Larcher de janvier 2007, pour « tout projet de réforme » qui concerne « les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle ». Plusieurs instances devraient être consultées : la Commission nationale de la négociation collective (dans laquelle sont représentées les organisations de salariés et d’employeurs) ; le Conseil supérieur de la prud’homie (qui donnera un avis au sujet du plafonnement des indemnités octroyées par la justice pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ») ; le Conseil d’orientation sur les conditions de travail (qui se penchera sur le devenir du comité d’hygiène et de sécurité dans les entreprises).

Parallèlement, le gouvernement va demander, après les législatives des 11 et 18 juin, à l’Assemblée et au Sénat leur aval pour qu’il puisse prendre des mesures relevant du domaine de la loi. Cette autorisation doit lui être accordée par le vote d’une loi d’habilitation mentionnant les objectifs de la réforme et le champ dans lequel celle-ci intervient. Si tout se déroule comme le souhaite l’exécutif, ce texte sera définitivement adopté courant juillet ou début août, à la faveur d’une session extraordinaire du Parlement. Ensuite, les ordonnances elles-mêmes seront rédigées – peut-être dès le mois d’août, au moins pour certaines dispositions qui avaient été envisagées dans de précédents véhicules législatifs (par exemple le barème obligatoire pour les dédommagements prud’homaux).

Les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel. Mais pour qu’elles ne deviennent pas caduques, il faut qu’un projet de loi de ratification soit déposé devant le Parlement dans un délai fixé par la loi d’habilitation. Deux cas de figure peuvent se présenter, ensuite : soit le texte de ratification est approuvé par le Parlement et l’ordonnance acquiert la valeur de loi ; soit il ne l’est pas et celle-ci conserve une valeur simplement réglementaire – ce qui permet d’en contester le contenu devant le Conseil d’Etat. Des décrets seront, par ailleurs, sans doute nécessaires pour permettre l’application effective des ordonnances. Il sera donc difficile, dans ce contexte, de ficeler une réforme qui soit « opérationnelle à la rentrée », selon la formule de Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement.