Il est arrivé devancé par sa caricature. Celle de l’ébouriffant ancien ambassadeur de France en Irak et en Tunisie, grande gueule de l’ère « bling bling » – c’est fou, quand on y pense, combien l’expression a vieilli –, une de ces comètes du quinquennat de Nicolas Sarkozy, passée de la haute fonction publique aux affaires troubles et venue se fracasser un jour de juillet 2013 devant les agents des douanes, gare du Nord, alors qu’il s’apprêtait à prendre le Thalys pour la Belgique avec 350 000 euros et 40 000 dollars en espèces dans son sac à dos vert.

Boris Boillon a comparu, lundi 22 mai, à la barre du tribunal correctionnel de Paris pour « blanchiment de fraude fiscale », « faux et usage de faux », « manquement à l’obligation déclarative de transfert de capitaux » et « abus de biens sociaux. » L’allure était raccord, teint hâlé, cheveux ras, costume si cintré que l’on en plaignait les coutures, martyrisées par les biceps, opprimées par les dorsaux. Les premières phrases aussi – « Je me définis, avec Bergson, comme quelqu’un qui agit en homme de pensée et pense en homme d’action », « Je suis un grand sportif, j’aime sortir de ma zone de confort » ou encore « J’ai mérité mon salaire de la peur » – avec lesquelles l’ancien diplomate a expliqué comment, promis à un « placard » sous la présidence de François Hollande, il s’était mué en téméraire homme d’affaires dans les zones sensibles du Proche-Orient, notamment en Irak.

Ensuite – est-ce l’effet de la courtoisie du président Peimane Ghaleh-Marzban ? – la caricature s’est effacée pour céder la place à un prévenu attentif, rigoureux, qui témoignait d’une connaissance aiguë des dossiers pour lesquels ses conseils avaient été sollicités (aéroports, ponts, routes, électricité, hydrologie, équipements sportifs ou hospitaliers) justifiant ses confortables émoluments et contestant avec force les accusations de faux contrats retenues contre lui. Avec la même aisance, Boris Boillon expliquait encore les raisons pour lesquelles il avait accepté d’être rémunéré en liquide pour un de ces contrats, évoquant les contraintes du contrôle des changes, les habitudes d’une zone de conflit où « tout se paie en liquide ». « Je fais à Rome comme les Romains, c’est dans ma culture de diplomate, je m’adapte aux coutumes locales », a t-il dit.

Aucun sentiment d’irrégularité, mais plutôt d’« apesanteur »

Mais le moment cruel est arrivé, où la belle assurance s’est envolée, lorsqu’il lui a fallu expliquer comment il avait rapatrié son argent. Avec ses coupures soigneusement conditionnées en « quatre pains sous plastique », Boris Boillon prend l’avion à Bagdad. « Et vous ne déclarez rien ?, demande le président.

– Non, on m’avait mis en garde contre les douaniers âpres au gain.

– Vous arrivez à Vienne, vous ne déclarez rien non plus.

– Je suis en zone internationale.

– Et à Paris ?

– Je me suis dit que j’arrivais d’un vol intracommunautaire et donc, que je n’avais rien à déclarer.

– Vous, l’ancien ambassadeur ? », s’étonne le président.

Peimane Ghaleh-Marzban poursuit : « A Paris, que faites-vous avec vos sacs d’argent ?

– Je vais dans mon petit studio.

– Et ?

– Et comme il n’est pas trop sécurisé, je ne veux pas mettre tous les œufs dans le même panier. Je laisse dans l’appartement la liasse avec les billets de 500 et les dollars, j’en mets deux autres à la cave et le dernier, juste à côté, dans un petit coffre en bois, que je recouvre de limon. 

– Pourquoi ne le déposez-vous pas à la banque ?

– Parce que cet argent, c’était une avance sur un contrat, pas un paiement, je pensais qu’il ne m’appartenait pas encore », bégaie l’ancien diplomate.

Par crainte d’un cambriolage – « J’avais lu qu’il y avait une recrudescence des vols à Paris pendant l’été et je devais repartir en Irak au mois d’août » –, Boris Boillon décide d’emporter son pactole en Belgique, où il a sa résidence principale et où, assure-t-il sans convaincre, il avait la ferme intention de se mettre en règle et de le déclarer. « J’avais pris rendez-vous avec mon expert-comptable début septembre, mais entre-temps, il y a eu le 31 juillet… »

Ce jour-là, les douaniers – hasard, flair ou autre, on ne sait – abordent le quadragénaire en jean bleu marine et pull assorti.

« Avez-vous quelque chose à déclarer ?

– Non. 

– Pas plus de 10 000 euros en espèces [le montant au-delà duquel tout transfert au sein de l’Union européenne est soumis à déclaration] ?

– Non. »

Ils ouvrent le sac vert, trouvent un sac noir et dans le sac noir, les liasses bien rangées.

– « Vous vous sentiez en irrégularité ?

– Je dirais plutôt, en apesanteur. »

Revenu sur terre, l’ancien diplomate encourt jusqu’à cinq ans de prison et d’importantes amendes. Réquisitoire et plaidoiries mardi 23 mai.