Michel-Edouard Leclerc dans les murs du Fonds Hélène et Edouard Leclerc, espace d’exposition à Landerneau, lors d’une exposition le 4 décembre 2015. | Fred Tanneau/AFP

A bientôt 64 ans, le dirigeant du réseau de grandes surfaces E. Leclerc est un homme d’affaires avisé doublé d’un insatiable amoureux de culture en général et de BD en particulier. Sur son blog, il livre aussi bien ses réflexions concernant l’avenir de la grande distribution que ses coups de cœur en matière de 8e art. Sa ville natale de Landerneau (Finistère) a donné son nom au prix littéraire qu’il a créé. La cité bretonne accueille aussi à partir du 25 juin 2017 une exposition Picasso au musée du Fonds Hélène et Edouard Leclerc pour la culture, qu’il a fondé en 2011.

Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?

La République italienne, une époque de foisonnement, d’innovation, d’ouverture d’esprit qui remettait l’homme au centre du monde et en même temps le rendait petit, car c’est aussi une période où l’astronomie et la science vivaient une formidable évolution, comme celle que l’on connaît aujourd’hui avec le numérique. Mais je n’oublie pas ses perversités si bien décrites par Machiavel.

Une image de notre époque ?

Le projet de mur entre les Etats-Unis et le Mexique de Trump. Haïssable, il matérialise les nationalismes, le communautarisme. Il est la métaphore de cette honteuse contradiction contemporaine : on veut avoir tous les amis du monde sur Facebook à condition qu’ils ne franchissent pas le mur de notre chez-soi. Je suis indigné par cette manière de prétendre s’ouvrir au monde, de voyager tout en construisant des murs autour de soi.

Un son de notre époque ?
La Wally, bande-son du film l’opéra d’Alfredo Catalani, Diva… Je l’ai découverte lorsque ce film de Jean-Jacques Beineix est sorti, en 1981, et comme tout jeune homme je suis tombé amoureux de son interprète, Wilhelmenia Wiggins Fernandez. Dans le bruit de fond de notre époque, il est un moment de grâce. Je l’écoute souvent.

Un livre ?

Vernon Subutex, de Virginie Despentes. Dans le portrait de ce Persan contemporain, on retrouve les mutations d’aujourd’hui, leur impact social et la nostalgie qu’elles suscitent. Virginie Despentes est une grande écrivaine qui a su créer un personnage incarnant à merveille l’époque.

Le hashtag de l’époque ?

#cavafairedubruitdanslanderneau. Originaire de plusieurs Bretagne, j’ai grandi à Landerneau [son père Edouard y est né et y a fondé sa chaîne de grande distribution]. C’est mon Saint-Germain-des-Prés à moi. J’ai voulu faire découvrir le meilleur de l’art du monde aux Landernéens et faire découvrir Landerneau au monde. C’est pour cela que j’ai créé le fonds pour la culture qui propose des expositions d’art dans l’ancien couvent des Capucins de la ville.

Une expression agaçante ?

Faire du business. Une expression arriviste, représentative d’une culture du court terme, de l’argent sans cause, matérialisée par le nouveau nom des écoles de commerce rebaptisées « business school ». Un terme réducteur que j’exècre, car il occulte le projet d’entreprise, et auquel je préfère mille fois le terme « entrepreneur ».

Un personnage ?

L’hologramme de Mélenchon… C’était très malin de la part de ce survivant d’une époque révolue et qui essaie de pousser sa chanson depuis trente ou quarante ans. Il me fait penser à un personnage de science-fiction des années 1960 qui nous vient du passé sous forme dématérialisée. Mais je ne me fais pas d’illusion sur l’homme : en 1789, j’aurais dû me planquer s’il avait été au pouvoir.

Un bienfait de notre époque ?

L’accès pour tous à un potentiel de connaissance grâce à Internet. Je suis émerveillé de voir que tous les grands textes de l’histoire sont regroupés en un seul lieu. A 15 ou 70 ans, on peut tout apprendre ou réapprendre sur Internet, qui permet aux démunis, aux isolés comme aux solitaires d’accéder à la connaissance.

Le mal de l’époque ?

Le burn-out des sociétés occidentales, de leur mode de vie et de leur modèle de civilisation, lié entre autres à la crise de la représentation politique. Même les enfants de la bourgeoisie et des décideurs ne croient plus ni à l’Europe ni à la nation. Notre époque inhibe l’action et favorise un repli général que l’on retrouve aussi au sein de l’élite. Un repli qui, selon moi, trouve sa source dans une formidable duperie. On nous a fait croire que nous étions les enfants des Gaulois alors que nous sommes les enfants de la mondialisation et des peuples successifs qui ont essaimé en France.

C’était mieux hier quand…

Non, ce n’était pas mieux.

Ce sera mieux demain quand…

On sortira de notre burn-out. A force de revendiquer nos origines chrétiennes, on va bien finir par trouver de la culpabilité à rester prostrés. On se rappellera alors cette parabole qui nous enjoint de toujours faire fructifier ce que l’on nous a donné…