Le président philippin Rodrigo Duterte a instauré mardi 23 mai au soir la loi martiale pour deux mois sur la grande île du sud du pays, Mindanao, après une journée de combats en zone urbaine entre l’armée et des groupes ayant prêté allégeance à l’organisation Etat islamique (EI). M. Duterte a écourté une visite officielle en Russie, où il était arrivé la veille, et devait rencontrer brièvement dans la soirée Vladimir Poutine à Moscou avant de décoller pour Manille.

Deux soldats et un policier ont été tués, et douze autres blessés, au cours des violents accrochages dans la ville de Marawi, annonçait en début de soirée le secrétaire à la défense philippin, Delfin Lorenzana. L’extrême sud des Philippines est en proie depuis les années 1990 aux attaques de groupes criminels se réclamant de l’islam radical et se finançant sur les prises d’otages et la piraterie maritime.

Arrivé au pouvoir il y a un peu moins d’un an, M. Duterte a demandé aux forces armées de liquider ces groupes, l’un historique, Abou Sayyaf, et l’autre fondé autour de 2013, Maute. Mais les troupes régulières se heurtent sur le terrain à des ennemis tenaces.

En janvier, l’armée philippine avait bombardé des combattants cachés dans le fief du Maute après avoir obtenu des informations faisant état de la présence sur place du leader d’Abou Sayyaf, Isnilon Hapilon. Celui-ci aurait tenté de rapprocher les deux entités pour se présenter comme l’« émir » des Philippins affiliés à l’EI. Isnilon Hapilon aurait été blessé dans l’attaque.

Les violences de mardi seraient la suite directe de cet épisode, selon Manille. Depuis Moscou, le secrétaire à la défense a expliqué que Ie chef terroriste se trouvait à Marawi, ville de 200 000 habitants majoritairement musulmans, que son groupe avait pu infiltrer sans être détecté par l’armée, « peut-être en se faisant passer pour des civils », car il y a « beaucoup de sympathisants ».

C’est lorsque les forces régulières, soldats et policiers, ont approché de sa cache qu’ont débuté les combats, selon le gouvernement. « Elles prévoyaient d’arrêter M. Isnilon, elles ne savaient pas qu’il était appuyé par une centaine de combattants armés » a expliqué M. Lorenzana.

Pour l’établissement d’un « califat »

Ces rebelles islamistes auraient alors appelé en renfort d’autres combattants puis occupé dans la journée un hôpital, une faculté, la mairie et la prison de la ville, et mis le feu à plusieurs bâtiments.

Des habitants de Marawi ont posté sur les réseaux sociaux des photos de combattants vêtus de noir ou en treillis, tenant des artères de la ville et les toits d’immeubles. Les insurgés ont placé un drapeau de l’EI sur au moins un véhicule de police. Ils l’auraient également fait flotter au sommet de l’hôpital.

« Ils occupent toujours la rue principale de Marawi (…) et deux ponts menant à la ville, a précisé M. Lorenzana. L’ensemble de la ville de Marawi est dans le noir, il n’y a pas de lumières, et il y a des tireurs du [groupe terroriste] Maute tout autour. »

Les forces armées envoyaient des renforts sur place mardi soir et tentaient avant leur arrivée de ne pas perdre de terrain. « Nous serons capables de les contenir en avançant demain ou dans les deux jours qui viennent », a assuré le secrétaire à la défense.

« Je demande aux résidents de la ville de Marawi de rester chez eux, de se coucher au sol s’ils entendent des coups de feu. Ils doivent aussi fermer leurs portes », a déclaré de son côté le vice-gouverneur de la province du Lanao del Sur, Mamintal Adiong Jr, cité par le journal The Inquirer.

Certains commentateurs critiquaient mardi soir l’incapacité des forces armées philippines à anticiper un tel risque, dans une ville située à deux heures de route de la zone où les combattants islamistes ont été bombardés en début d’année.

Ces derniers cherchent à établir des éléments tangibles démontrant la réalité d’un « califat » dans certaines poches de territoire du sud philippin et étaient parvenus en novembre à hisser le drapeau de l’EI sur la mairie d’une commune, Butig, dix fois moins peuplée que Marawi. Il avait fallu plusieurs semaines pour les déloger des dix hectares dont ils s’étaient saisis.

Ces groupes islamistes armés ont, par ailleurs, fait la preuve de leur ambition d’opérer hors de leur rayon d’action passé. En septembre 2016, le Maute avait conduit une attaque à la bombe faisant 16 morts et 70 blessés sur un marché de nuit de la plus grande ville de l’île de Mindanao, Davao, dont M. Duterte a été maire durant deux décennies.

Puis, en avril 2017, des combats entre des militants d’Abou Sayyaf et l’armée avaient fait huit morts sur l’île touristique de Bohol, dans le centre du pays. Enfin, au début de mai, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont appelé leurs ressortissants à la prudence s’ils prévoyaient de voyager dans certaines régions de l’île de Palawan, connue pour ses plages paradisiaques, du fait d’« informations crédibles » sur des projets d’enlèvements.