A Lyon, dans la salle spécialement dévolue aux essais de jeu en réalité virtuelle – aucun meuble, et de l’espace pour tester les titres. | WILLIAM AUDUREAU / « LE MONDE »

« Essaye de t’imaginer au crétacé. Tu jettes ton premier coup d’œil sur cette grosse dinde en débouchant dans une clairière. Elle avance comme un oiseau, en hochant de la tête. Et tu ne bouges plus, parce que tu te dis que peut-être son acuité visuelle est basée sur le mouvement, comme le tyrannosaure, et qu’il t’oubliera si tu ne bouges pas, mais non : pas le vélociraptor. »

La citation est d’un des plus célèbres films des années 1990 : elle est prononcée par le professeur Grant dans Jurassic Park (1993), de Steven Spielberg. Et vingt-quatre ans plus tard, elle a inspiré le nom de « Raptor Lab », une jeune pousse suisse née en janvier 2017 et implantée à Lyon, dans le quartier populaire de La Guillotière. « Comme nous, les raptors sont sensibles au mouvement ! On avait envie d’avoir l’air un peu sympa et rigolo, pas de s’appeler Futur VR ou un autre nom générique », explique avec enthousiasme Samuel Auzols, architecte d’intérieur de formation et cofondateur de la société.

Planter de bâton virtuel

Le mouvement, Raptor Lab en a fait le cœur de son activité. Dans un monde où la réalité virtuelle est encore très contrainte par les fils, les espaces de jeu réduits et les casques encombrants qui obstruent la vision, le studio a mis en place un système qui permet désormais au joueur de se déplacer (dans l’espace virtuel) sans bouger d’un mètre (dans la réalité).

L’astuce ? Utiliser les manettes à la façon de bâtons de ski, pour se propulser à la force des bras, plutôt qu’en déplaçant les jambes. Le système, présenté au public lors du Videogame Economics Forum d’Angoulême les 9 et 10 mai derniers, équipe déjà un titre en VR (Virtual Reality – « réalité virtuelle » en français), The Art of Fight, un jeu de tir par équipes à la Counter-Strike sorti en février.

Fast-Paced VR Shooter | "The Art Of Fight" First Look - (HTC Vive Gameplay)

Celui-ci compte quelque dix mille joueurs, selon les estimations du site Steam Spy, un chiffre à rapporter au parc installé encore très réduit de casques de réalité virtuelle sur ordinateurs. The Art of Fight a suffisamment plu, en tout cas, pour que certains athlètes de la souris mettent en ligne les déplacements acrobatiques qu’ils ont appris à réaliser, périphérique vissé sur le crâne, grâce à l’ingénieux système de la start-up lyonnaise.

Mise en avant par une vidéo du jeu visualisée près d’un million de fois, la technologie a donné des idées à des industriels bien éloignés du monde du jeu vidéo, et notamment à Velours International, un groupe français spécialisé dans la sûreté et la gestion des risques. Il compte des clients dans l’industrie de la défense, friande de longue date de réalité virtuelle. « Dans une simulation en VR classique, on ne peut pas se déplacer vraiment, il faut se téléporter. On perd alors la perception de l’espace. Notre technique permet au contraire de mieux mémoriser les lieux ; c’est ce qui les intéressait », relate Samuel Auzols. Le système doit notamment servir pour des simulations de prise d’otage dans la ville de Dubaï, qui se prépare à accueillir l’exposition universelle de 2020.

Les joueurs, des cobayes de luxe

Pour autant, le jeu vidéo reste l’épine dorsale de l’activité de Raptor Lab. « On s’est rendu compte que faire du jeu en réalité virtuelle, c’était indispensable, confirme Samuel Auzols. C’est grâce aux retours des joueurs qu’on a pu améliorer notre technologie, sans cela elle n’était pas prête. » Kevin Tanoh, polytechnicien de Lausanne et associé de la boîte, estime même que le petit cercle des adeptes de jeu vidéo en VR – moins de deux millions dans le monde – est un atout pour eux :

« Le niveau d’exigence des joueurs est extrêmement élevé, ils veulent que le jeu soit parfait. »

Tous sont vingtenaires, et Samuel et Kevin, les deux cofondateurs, se connaissent depuis huit ans, par le biais d’Internet. Ils ont déjà bricolé plusieurs jeux vidéo amateurs ensemble, et en préparent un autre pour le début du mois de juin, un jeu de duel armé dans une ambiance antique ou médiévale.

Le prochain jeu en réalité virtuelle de Raptor Lab met en scène des duels à l’arme blanche. | Raptor Lab

Développé en deux mois seulement, en réalité virtuelle toujours, mais avec un travail visuel plus important, il cherche cette fois à résoudre un autre problème : comment synchroniser la représentation des armes quand deux joueurs s’affrontent en VR et que celles-ci s’entrechoquent dans le jeu, mais évidemment pas dans la réalité ? Les joueurs seront premiers juges, avant une possible exploitation de cette nouvelle technologie dans un autre cadre.

Les futurs possibles de la VR

Le succès émergent de Raptor Lab leur a également permis d’être approchés par plusieurs sociétés également spécialisées dans la réalité virtuelle. L’une d’elles développe des tapis spécifiquement conçus pour mimer le déplacement, à la manière des tapis des salles de sport, mais entourés d’une rambarde pour ne pas tomber en jeu. Une autre leur a fait parvenir un prototype de gilet à retour de force, afin de retranscrire physiquement les impacts virtuels.

Kevin Taroh, de Raptor Lab, essaie un dispositif expérimental de restitution des impacts virtuels. | Raptor Lab

Autant de futurs possibles pour une technologie à laquelle tout le monde promet un avenir brillant, mais qui reste encore très marginale et pas toujours au point. « C’est vrai que la réalité virtuelle pose beaucoup de questions », admet Samuel Auzols. Ses associés eux-mêmes ne sont pas certains que la plupart des acheteurs de casques ne soient pas des professionnels comme eux, plutôt que des clients réels.

Qu’importe, ils veulent y croire. Après tout, « entre l’événementiel, l’arcade et le marché de l’Asie, c’est encore en pleine effervescence ». En marge des jeux vidéo et de la défense, Raptor Lab vend déjà des prestations publicitaires en réalité virtuelle à la ville de Lyon, ou encore contribue à la transformation de vieilles bornes d’arcade en dispositifs de jeux en VR. Loin, très loin, du mésozoïque.