Michel Noblecourt, éditorialiste au Monde a répondu aux questions des internautes à propos des négociations sur la réforme du code du travail, après les premières discussions organisées mardi matin entre Emmanuel Macron et les représentants des syndicats.

PC : Qui croire entre la CGT et la CPME sur le calendrier de la réforme du code de travail ?

Michel Noblecourt : Il ne semble pas que le calendrier soit tout à fait arrêté. Ce que l’on sait c’est qu’Emmanuel Macron veut aller vite et que les syndicats veulent qu’il prenne le temps d’une vraie concertation. Philippe Martinez a indiqué qu’il pouvait y avoir du « flou » dans le calendrier. Et François Asselin, pour la CPME, a déclaré que le président souhaitait que les ordonnances soient bouclées « courant septembre ».

L’Elysée a indiqué que ce n’était pas calé et cela devrait faire l’objet des discussions que le premier ministre entame, mercredi, avec les partenaires sociaux. Jean-Claude Mailly, pour FO, a plaidé pour une « détente » du calendrier, son souci étant que les ordonnances ne soient pas publiées au mois d’août. Emmanuel Macron n’a dit ni oui ni non, dit-il, mais il n’est pas « fermé ».

Patrick_V : Les syndicats ont-ils le sentiment que ces échanges n’étaient que formels ou, au contraire, qu’Emmanuel Macron est prêt à « revoir sa copie » (par exemple sur le plafonnement des indemnités prud’homales) ?

A ce stade, les dirigeants syndicaux soulignent qu’Emmanuel Macron se montre plutôt attentif et est à l’écoute, ce qui est le minimum dans une concertation. Mais rien n’indique qu’il soit disposé à revoir sa copie par rapport à ses intentions exprimées durant la campagne électorale.

JC : En indiquant que le calendrier peut bouger, les représentants syndicaux ne tentent-ils pas de forcer la main du gouvernement ? En effet, il y a de grandes chances pour que d’éventuels mouvements sociaux soient peu suivis en période estivale…

Les deux démarches sont antagonistes. Emmanuel Macron veut aller vite et les syndicats veulent ralentir sa marche sur la réforme du code du travail au maximum. Le président de la République sait que la période estivale n’est pas propice aux mobilisations, la majorité des salariés étant en vacances. Mais cela suppose que la loi d’habilitation soit effectivement votée durant la session extraordinaire de juillet.

Il y a un précédent : en 1993, Edouard Balladur avait fait passer une réforme des retraites, allongeant la durée de cotisations pour une retraite à taux plein des salariés du privé, en plein mois d’août, ce qui avait évité toute contestation.

Locrie : Emmanuel Macron veut avancer vite sur cette réforme pour qu’elle soit en vigueur à la rentrée. A partir de quand pourrait-on en observer les premiers effets ?

Le raisonnement d’Emmanuel Macron est que les réformes sur le marché du travail mettent du temps à produire des effets, c’est ce qu’on a vu pour les réformes réalisées sous le quinquennat de François Hollande. C’est la raison pour laquelle il veut aller vite.

S’il réussit à boucler sa réforme en septembre, il faudra ensuite qu’il prenne des décrets d’application sur les ordonnances. Il faudra donc attendre plusieurs mois, voire peut-être une année, pour que la réforme commence à produire ses premiers effets.

42-is the answer : Macron ne risque-t-il pas de devoir faire face à plus de mouvements de grève si la loi est bouclée en septembre ?

Si Emmanuel Macron réussit à boucler sa réforme en septembre, cela ne lui offre pas une garantie de paix sociale. Comme on l’a vu pour la loi El Khomri, la contestation a continué même après sa promulgation. Si les syndicats les plus en pointe dans le refus de la réforme du code du travail telle qu’il l’a proposée, c’est-à-dire la CGT et FO, ont le sentiment que la concertation a été bâclée, qu’elle n’a été que de pure forme et qu’ils ont été menés en bateau par l’exécutif, ils feront à coup sûr entendre leur colère. Mais il est difficile de donner de l’ampleur à une contestation une fois que les textes sont bouclés, comme on l’a vu, là aussi, pour la loi El Khomri.

Béatrice : Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le vote des parlementaires dans le cadre des ordonnances s’ils ne peuvent pas amender les textes ?

Pour pouvoir légiférer par ordonnances, il faut faire voter par le Parlement un projet de loi d’habilitation, ce qui permet donc aux parlementaires durant le débat de proposer des amendements. Ensuite, les ordonnances doivent faire l’objet d’une loi de ratification mais elles peuvent entrer en vigueur sans attendre le vote de ce projet de loi de ratification.

Zérodialogue : Malgré la légalité du projet, pourquoi un journal démocratique ne s’offusque pas de son caractère antidémocratique ?

Les ordonnances ne sont pas une procédure antidémocratique. Elles sont prévues par la Constitution et doivent faire l’objet au préalable d’un projet de loi d’habilitation et à la fin du processus d’une loi de ratification.

Sous le premier septennat de François Mitterrand, c’est par ordonnances que plusieurs grandes réformes – l’abaissement de la durée légale hebdomadaire à 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans – ont été promulguées. Ce n’est donc pas nouveau et les précédents sont illustres. Mais il est vrai qu’il s’agissait de réformes de progrès social et celle aujourd’hui sur le code du travail n’est pas forcément ressentie comme telle.

In_die_Sonne : Les différents syndicats sont-ils en mesure de revendiquer et de peser dans les discussions en menaçant avec des grèves et des manifestations ? L’air du temps semble être à la réforme et à l’apaisement après la brutale campagne présidentielle…

Pour l’heure, aucun syndicat n’a une posture va-t-en-guerre, même la CGT qui s’est contentée d’annoncer un « temps fort » de mobilisations pour la troisième semaine de juin, ce qui est le bas de gamme de ses modalités d’action. Emmanuel Macron ne bénéficie pas pour autant d’un véritable état de grâce. Mais tout dépendra des élections législatives. Si le président de la République obtient une majorité absolue, alors même qu’il a annoncé la couleur notamment sur la réforme du code du travail, il sera sans nul doute plus difficile pour les syndicats d’engager un bras de fer ayant une chance d’être victorieux.

Ope : Des nouvelles de Pierre Gattaz ?

Le président du Medef a également été reçu par Emmanuel Macron. Il a une position qui est exactement aux antipodes de celle des syndicats : c’est-à-dire qu’il presse le président d’aller le plus vite possible sur la réforme du code du travail et donc de ne pas perdre trop de temps avec une concertation qui, à son avis, ne peut aboutir qu’à réduire la portée de ce qu’il attend, une totale flexibilité du droit du travail donnant les libertés les plus larges aux entreprises.

Mikap : Quelle est la situation aujourd’hui sur les indemnités prud’homales ? Macron propose d’instaurer un plafond ? Un plancher également ? Quels sont les avantages d’une telle mesure ? Quelles sont les critiques ?

A l’heure actuelle, la loi Macron – celle qu’il a fait adopter quand il était ministre de l’économie – prévoit un barème indicatif des indemnités prud’homales, ce qui signifie que les juges prud’homaux ne sont pas tenus de le respecter et conservent toute leur liberté. Le président veut aboutir à ce qu’il n’avait pas réussi à faire passer dans la loi El Khomri : introduire un plafonnement des indemnités prud’homales qui s’imposera aux juges. Il n’y pas beaucoup de précisions sur le contenu du projet mais il ne semble pas qu’un plancher soit prévu.

Lacar : Pourquoi M. Macron a souhaité rencontrer les syndicats, lui-même, seul, et un par un ? Et pourquoi les syndicats ont-ils accepté cette méthode, alors qu’une concertation ensemble leur aurait sûrement été plus favorable dans un éventuel rapport de force ?

En rencontrant les dirigeants syndicaux et patronaux en tête-à-tête, Emmanuel Macron a voulu montrer l’importance qu’il accorde à cette réforme. Ce n’est pas incompatible avec la concertation qui va s’engager dès mercredi entre le premier ministre et la ministre du travail et les partenaires sociaux.

Florent : Est-ce que cette réforme va permettre une augmentation des salaires ?

Non, cette réforme n’a pas pour objet – ni pour effet – une augmentation des salaires. Les salaires sont déjà négociés, c’est une obligation légale depuis 1982, dans les entreprises.

Thibaut-Lyon : Pourquoi le président de la République donne autant d’importance aux syndicats alors qu’ils ne représentent que 11 % des salariés ?

Dans une société démocratique, les syndicats sont des acteurs importants. C’est vrai que le taux de syndicalisation (11 %) est faible mais les syndicats comptent plus d’adhérents que les partis politiques. Et ils tirent leur légitimité des élections professionnelles dans les entreprises auxquelles 65 % à 70 % des salariés participent, ce qui montre une mobilisation bien supérieure à un certain nombre d’élections politiques dites intermédiaires (régionales, départementales, municipales, européennes) en France. Ils sont des contre-pouvoirs et jouent un rôle indispensable dans la régulation des relations sociales.

Légiférer par ordonnances implique des étapes incontournables

Légiférer par ordonnances est devenu banal. De 2004 à 2013, quelque 357 textes de cette nature ont été publiés au Journal officiel, d’après Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’école de droit de Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Plusieurs réformes emblématiques, portant sur le monde du travail, ont été conduites grâce à cette procédure, qui permet d’aller beaucoup plus vite qu’un projet de loi ordinaire. Le général de Gaulle y a eu recours, en 1967, pour créer l’ANPE. Même chose avec François Mitterrand, début 1982, afin de concrétiser deux promesses de campagne : le passage à la semaine de 39 heures et l’instauration de la cinquième semaine de congés payés.

Mais pour aller au bout de leurs intentions, Emmanuel Macron et le gouvernement d’Edouard Philippe sont tenus de respecter des étapes bien précises. Il faudra, en effet, saisir le patronat et les syndicats. C’est incontournable, depuis la loi Larcher de janvier 2007, pour « tout projet de réforme » qui concerne « les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle ». Plusieurs instances devraient être consultées : la Commission nationale de la négociation collective (dans laquelle sont représentées les organisations de salariés et d’employeurs) ; le Conseil supérieur de la prud’homie (qui donnera un avis au sujet du plafonnement des indemnités octroyées par la justice pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ») ; le Conseil d’orientation sur les conditions de travail (qui se penchera sur le devenir du comité d’hygiène et de sécurité dans les entreprises).

Parallèlement, le gouvernement va demander, après les législatives des 11 et 18 juin, à l’Assemblée et au Sénat leur aval pour qu’il puisse prendre des mesures relevant du domaine de la loi. Cette autorisation doit lui être accordée par le vote d’une loi d’habilitation mentionnant les objectifs de la réforme et le champ dans lequel celle-ci intervient. Si tout se déroule comme le souhaite l’exécutif, ce texte sera définitivement adopté courant juillet ou début août, à la faveur d’une session extraordinaire du Parlement. Ensuite, les ordonnances elles-mêmes seront rédigées – peut-être dès le mois d’août, au moins pour certaines dispositions qui avaient été envisagées dans de précédents véhicules législatifs (par exemple le barème obligatoire pour les dédommagements prud’homaux).

Les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel. Mais pour qu’elles ne deviennent pas caduques, il faut qu’un projet de loi de ratification soit déposé devant le Parlement dans un délai fixé par la loi d’habilitation. Deux cas de figure peuvent se présenter, ensuite : soit le texte de ratification est approuvé par le Parlement et l’ordonnance acquiert la valeur de loi ; soit il ne l’est pas et celle-ci conserve une valeur simplement réglementaire – ce qui permet d’en contester le contenu devant le Conseil d’Etat. Des décrets seront, par ailleurs, sans doute nécessaires pour permettre l’application effective des ordonnances. Il sera donc difficile, dans ce contexte, de ficeler une réforme qui soit « opérationnelle à la rentrée », selon la formule de Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement.