Six jeunes hommes ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour dénoncer des contrôles au faciès et obtenir une condamnation de la France. Mounir S., Lyes K., Amine D., Bocar N., Karim T. et Dia A. n’avaient pas obtenu gain de cause devant la Cour de cassation, à l’automne 2016, au terme d’un long parcours en justice entamé à la suite de contrôles d’identité réalisés en décembre 2011.

Le 9 novembre 2016, dans une décision de principe inédite, la plus haute juridiction française avait condamné l’Etat pour faute lourde sur la base de contrôles d’identité discriminatoires. Elle s’était prononcée en ce sens dans trois dossiers, sur les treize portés à son appréciation par des personnes d’origine africaine ou nord-africaine.

Parmi ceux qui n’ont pas obtenu la condamnation des autorités, six se tournent donc aujourd’hui vers la justice européenne, leurs voies de recours en France étant épuisées. Dans leur requête, déposée le 8 mai et rendue publique aujourd’hui, ils estiment que « dans chacune des affaires, les tribunaux français ont rejeté de façon déraisonnable la valeur probante des éléments produits par les requérants. Dans certains cas, ils ont soit souligné que les contrôles en question avaient pris place dans des secteurs supposément touchés par la délinquance, soit accepté des justifications inappropriées, floues ou fondées sur des stéréotypes ».

Charge de la preuve aménagée

Dans sa décision de novembre 2016, la Cour de cassation avait notamment précisé la façon dont la discrimination doit être prouvée. La personne qui saisit le tribunal « doit apporter au juge des éléments qui laissent présumer l’existence d’une discrimination », comme, par exemple, l’attestation d’un témoin présent sur les lieux. « C’est ensuite à l’administration de démontrer, soit l’absence de discrimination, soit une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs. » En matière de contrôle au faciès, la charge de la preuve est donc aménagée, à l’image de ce qui se fait en droit du travail.

Cependant, maître Slim Ben Achour, l’un des avocats qui défend les requérants, estime que la justice française n’a pas tiré les conséquences de cette décision dans les dossiers portés devant la CEDH. « Mounir S. a, par exemple, été contrôlé alors qu’il sortait du métro, et il est le seul à avoir été contrôlé. Karim T. a subi trois contrôles sur dix jours dans le centre-ville de Besançon, illustre-t-il. On a besoin que les choses soient clarifiées. »

Me Ben Achour espère en outre que la CEDH se penchera sur la loi française : « Elle pourrait demander à la France de modifier les dispositions de l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui régit la majorité des contrôles d’identité, mais qui est beaucoup trop lâche et permet un contrôle systématique, généralisé et, en l’espèce, discriminatoire. »

Pas de récépissés, mais des caméras-piétons

Les requérants souhaitent enfin que la CEDH puisse contraindre l’Etat à mettre en œuvre des mesures pour lutter contre ces contrôles au faciès. « Le fait que les personnes contrôlées ne reçoivent aucun procès-verbal, récépissé ou formulaire de contrôle, ni aucune autre preuve matérielle dudit contrôle crée un climat d’impunité dans lequel les agents de police sont libres de discriminer », souligne, dans un communiqué publié le 24 mai, leurs soutiens, parmi lesquels Open Society Justice Initiative (une fondation du milliardaire George Soros), la Ligue des droits de l’homme, le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature.

Lorsqu’il était en campagne, Emmanuel Macron s’est dit opposé à la mise en place du récépissé, promesse non tenue de l’ancien président François Hollande. Le nouveau chef de l’Etat s’est en revanche dit favorable à la généralisation des caméras-piétons « pour enregistrer les contrôles d’identité ». L’enregistrement vidéo obligatoire des contrôles d’identité est expérimenté dans vingt-trois zones de sécurité prioritaire depuis le 1er mars.