Yvan Griboval à bord de son voilier, le « Boogaloo », au cours de l’expédition OceanoScientific. | Guilain Grenier - OceanoScientific

Soixante jours auront été nécessaires au navigateur Yvan Griboval pour boucler un tour de l’Antarctique en solitaire, à bord du Boogaloo, son voilier monocoque long de seize mètres. Dans cette partie encore préservée du globe, l’aventure était autant sportive que scientifique. Encadrée par l’Ifremer, Météo France et le CNRS, l’expédition OceanoScientific avait pour but de recueillir des données dans les eaux de surface du courant circumpolaire. En chemin vers son port de destination, Monaco, où il jettera l’ancre le 2 juin, il dresse le bilan de son périple.

Comment s’est passée votre expédition ?

Ce tour du monde par l’Antarctique a été un véritable défi sportif, puisque j’ai franchi en solitaire les trois grands caps continentaux : le cap de Bonne-Espérance, celui de Leeuwin et Horn. Je rêvais de passer le cap Horn en solitaire depuis l’âge de 12 ans, lorsque j’avais lu La Longue Route de Bernard Moitessier [Arthaud, 1971].

Ces dernières semaines ont été une aventure exceptionnelle. Une fois, j’ai été pris dans une dépression plus forte que ce que les prévisions météo laissaient présager. J’ai dû me réfugier à l’intérieur du navire et me harnacher pendant quatre heures tellement j’étais ballotté. Le bateau s’est même couché plusieurs fois sur le côté. Il fallait que le moral suive. Maintenant, j’appréhende un peu le retour à la vie normale, même si j’ai déjà d’autres projets et un agenda surchargé pour les prochaines semaines.

Vous faites à présent route vers la Méditerranée. De quoi êtes-vous particulièrement fier après ces deux mois d’aventure ?

Je tire de cette expédition plusieurs motifs de satisfaction. D’abord, j’ai réalisé ce tour du monde sans rien casser sur le navire, ni même subir d’avaries majeures, à part une petite panne du système de pilotage automatique.

Mais surtout, je suis fier d’avoir réussi mon pari de collecter des données sur ce milieu particulier qui constitue l’interface océan-atmosphère. Selon moi, c’est quelque chose qui n’a encore pas été fait par les scientifiques, pas de cette manière, avec un voilier. Il y a les bouées Argos, mais elles étudient les eaux à partir de 15 mètres de profondeur. Cette zone est d’importance majeure pour la planète, car le courant circumpolaire antarctique alimente tous les courants de la planète.

En quoi consistaient ces mesures ?

Mon bateau était équipé de capteurs pour mesurer la salinité et la température des eaux de surface. Les relevés atmosphériques concernaient la pression et la température de l’air, l’humidité, la force et la direction du vent. Ces paramètres sont le b.a.-ba dont les scientifiques ont besoin pour affiner leurs modèles climatiques. Je collectais aussi régulièrement des échantillons d’eau. Cette expédition est le fruit de dix ans de travail et de collaboration avec les chercheurs.

Pourquoi est-ce si important de réaliser cette mission en bateau ?

Pour mieux comprendre les phénomènes à l’œuvre dans les changements climatiques, il faut absolument collecter des données in situ. Je vais vous raconter une anecdote : un jour, de la mousse verte s’est mis à pousser sur la coque du Boogaloo en quelques heures. Les scientifiques avec qui j’étais en contact ont été très surpris et m’ont alors demandé s’il n’y avait pas un problème sur les capteurs de fluorescence.

Ils se référaient à leurs modèles qui sont alimentés par les images prises par des satellites. Or leurs relevés ne prennent pas en compte les jours où le temps est couvert, ce qui était le cas. J’ai pu observer cela uniquement parce que j’étais en bateau.

En plus, en voilier, on respecte l’environnement. Pendant mes 60 jours, j’ai dû consommer 30 litres de gasoil en faisant tourner le moteur de temps en temps. C’est juste le plein d’une petite voiture. L’idée maintenant est de répéter cette expédition pour avoir des données régulières.

Votre objectif est aussi de sensibiliser le grand public…

Oui. Je souhaite raconter ce que j’ai vécu, transmettre cette émotion et faire comprendre au plus grand nombre que les espaces vierges de toutes traces d’agression humaine sont devenus très rares. J’ai croisé la route de nuées d’oiseaux et je me suis senti l’un d’eux, le rapport à la nature a été fantastique. Mais comme tout le monde considère que cet espace lui appartient, c’est la porte ouverte au pillage.

La zone entre le 40e et le 60e parallèle doit être sanctuarisée. Même si ce n’était pas mon objectif au départ, je vais tout faire pour que cela soit possible. Cousteau a bien réussi à empêcher la signature de la convention de Wellington qui autorisait l’exploitation minière en Antarctique, en mobilisant 2,5 millions de personnes. C’était en 1988, et à l’époque il n’y avait pas de réseaux sociaux pour relayer son appel. Moi, j’ai déjà un premier soutien de poids avec le prince Albert II de Monaco, qui s’est engagé de longue date dans la protection des océans.