C’est un signal qui viendra conforter les Cassandre pour qui la Chine est un colosse aux pieds d’argile : l’agence de notation américaine Moody’s a dégradé, mercredi 24 mai, la note de crédit de la dette souveraine chinoise, pour la première fois depuis 1989. Celle-ci est abaissée de Aa3 à A1, avec une perspective stable. Selon Moody’s, « la solidité financière de la Chine va quelque peu s’éroder au cours des années qui viennent », alors que la deuxième économie mondiale est confrontée, en même temps, au ralentissement de sa croissance et à l’explosion de sa dette.

Pékin a immédiatement protesté contre une décision jugée « inopportune ». Un communiqué publié par le ministère des finances déplore une dégradation qui exagère les difficultés de l’économie chinoise sans tenir compte des efforts de réforme entrepris par les autorités. La dette souveraine du pays est très largement détenue par des investisseurs domestiques, le plus souvent publics ou semi-publics. Une situation qui la met relativement à l’abri des turbulences financières. Les marchés ont d’ailleurs peu réagi, à l’exception de la Bourse de Shanghaï qui s’est immédiatement repliée.

Une dette à plus de 260 % du PIB

Pourtant, l’annonce de Moody’s vient souligner les défis considérables qui attendent le pouvoir chinois. En début d’année, Pékin a décrété vouloir mettre l’accent sur la maîtrise des risques financiers tout en maintenant une cible de croissance de 6,5 %. Un double objectif difficile à concilier. « Je ne crois pas du tout au risque imminent d’une crise financière systémique, estime Louis Kuijs, du cabinet d’analyse Oxford Economics. En même temps, cette dégradation vient opportunément rappeler ce qu’il se passe avec l’endettement. Les signaux sont au rouge. »

Les chiffres sont vertigineux. L’endettement chinois a bondi à plus de 260 % du produit intérieur brut (PIB) à la fin de 2016, contre 160 % à la fin de 2008, selon des données de Bloomberg Intelligence. Une gigantesque bulle financière gonflée par les plans de relance successifs mis en place par le régime pour soutenir l’économie. Après des années de croissance échevelée, les autorités ont tout fait pour empêcher un ralentissement brutal, investissant massivement dans les infrastructures et inondant le marché de liquidités.

En avril, le Fonds monétaire international (FMI) avait tancé Pékin, l’accusant de favoriser une croissance court-termiste, au prix d’une expansion folle du crédit. Un emballement qui, selon l’institution, pourrait à terme menacer le reste de la planète si l’ajustement était mal conduit. Heureusement pour Pékin, la dette extérieure – remboursable en monnaie internationale, en biens et en services – ne représente que 12 % du PIB.

L’heure n’est pas à la complaisance

Malgré sa dégradation, Moody’s ne s’est d’ailleurs pas montré exagérément inquiet. « L’érosion du profil de crédit de la Chine sera progressive et, d’après nous, finalement maîtrisée grâce à l’accentuation des réformes », a souligné l’agence dans son communiqué. Pour autant, l’heure n’est pas à la complaisance.

Moody’s souligne les risques particuliers portés par la dette des entreprises publiques, souvent mal en point et souffrant de surcapacités. Celles-ci absorbent une grande partie des crédits bancaires, au détriment du secteur privé. Pékin a clairement affiché ses velléités de réformes, mais l’institution américaine doute que ces efforts aient « suffisamment d’impact » ou aillent « suffisamment vite » pour circonscrire efficacement le problème.

L’agence de notation estime que la croissance chinoise sera assez robuste pour laisser au régime le temps de s’adapter. Elle prédit pourtant qu’avec le vieillissement de la population la baisse des investissements et de la productivité, celle-ci devrait ralentir aux alentours de 5 % par an dans les cinq ans à venir. Un chiffre très en deçà des prévisions officielles de Pékin.

Le jugement de Moody’s contraste avec celui de l’agence de notation chinoise Dagong. Celle-ci gratifie la dette souveraine externe de la Chine d’un triple A, la meilleure note possible. Mieux que les Etats-Unis auxquels Dagong attribue un A –.