Quinzaine des réalisateurs

Les cinéphiles le savent, l’Afrique manque au cinéma. Un film repéré dans une des sections d’un grand festival fait l’effet d’une prodigalité rare du destin. Un bon film, par surcroît, laisse penser à une sorte de miracle. C’est sous ces doubles auspices qu’on découvre le premier long-métrage de Rungano Nyoni, native de Zambie, vivant au Pays de Galles. Et l’on se dit qu’on tient en elle, sous le signe de l’élégance graphique et de l’humour fin, une belle promesse de cinéma. Son film, tourné avec des non-professionnels, est un conte moderne sur une croyance ancienne, tout son intérêt venant de là, de cette manière incisive et tendre à la fois d’aborder un système dont on s’est émancipé, sans pour autant cesser de s’y référer et de le critiquer.

L’histoire est celle d’une fillette, Shula, qu’une communauté villageoise accuse d’être une sorcière. Recluse dans un camp dévolu à son espèce, que les touristes sont invités à visiter, attachée avec ses congénères par de longs rubans blancs à des bobines géantes elles-mêmes rivées à un camion Mercedes. Vision surréelle que celle de ces femmes contraintes par ce lien solide fixé dans leur dos, et lui-même fortement connoté, à la société qui les craint et les séquestre tout à la fois. Shula, comme ses aînées, est contrainte d’accepter cette privation de liberté, sauf à couper le ruban et à être maudite en se transformant en chèvre.

Des perruques à la Beyoncé

Sous des dehors aimables, sous l’humour omniprésent, sous la belle composition des plans, on comprend vite qu’une fable féministe se trame, montrant le ridicule de ce qui contribue à assujettir non pas seulement les sorcières, qui en seraient la forme quintessenciée, mais les femmes en général, dans une société modelée par les hommes. Les pratiques magiques avec poulet écorché, les prières pour la pluie, la fille qui vient vendre aux sorcières des perruques à la Beyoncé, l’émission de télévision cauteleuse qui les met en scène, la policière blasée qui enregistre les accusations de sorcellerie et les témoignages les plus fantasques, le représentant du gouvernement qui régit ce petit commerce de la puissance obscure et de l’Afrique immémoriale, son épouse à boucles blondes qui a tout abdiqué contre le luxe dans lequel il l’entretient : autant de supercheries qui sont épinglées avec grâce et légèreté.

Tout cela n’emprunte guère la voie linéaire d’une narration classique, mais se dispose par tableaux

Tout cela n’emprunte guère la voie linéaire d’une narration classique, mais se dispose par tableaux, s’accompagne de musique baroque et de jazz, multiplie les figures visuelles insolites, tache l’écran de couleurs vives, installant en son centre une fillette gracieuse et résolue, dont la seule limite est d’être le centre gravement assigné d’une sorte de joyeuse allégorie en perpétuel mouvement. Le charme opère toutefois, et laisse augurer, par l’originalité de l’invention et la pénétration du regard, d’une suite de carrière fructueuse.

Film zambien de Rungano Nyoni avec Margaret Mulubwa, Henry B. J. Phiri, Nancy Mulilo (1 h 30). Sortie en salles prochainement. Sur le Web : www.quinzaine-realisateurs.com/qz_film/i-am-not-a-witch