Sélection officielle – en compétition

Moins lucide que la ménagère qui refusait les deux barils de lessive qu’on lui offrait dans une vieille publicité, Chloé (Marine Vacth) saute sur l’occasion quand elle s’aperçoit que Paul (Jérémie Renier) se dédouble en Louis (Jérémie Renier), son jumeau homozygote. Ils sont tous deux psychothérapeutes, le premier est un gentil garçon qui pourrait être l’enfant que Tintin (le pull bleu ciel, la blondeur…) et le capitaine Haddock (la barbe, les cheveux coiffés vers l’avant…) n’ont jamais eu. Le second est un roué sadien, qui mérite amplement, dès son apparition, de se voir retirer son autorisation de pratiquer.

Elle, qui s’était jetée dans les bras du premier, se laisse entraîner sur la couche du second, se lançant tête baissée dans un labyrinthe de miroirs, dans lequel on s’égare avec un plaisir voisin de celui qu’on peut éprouver dans une fête foraine, intense, un peu frelaté. A ceci près bien sûr, que les labyrinthes ne sont pas conçus par des surdoués amoureux du cinéma et de son histoire.

Lors de sa projection devant la presse à Cannes, « L’Amant double » a fait rire

Bienvenue dans la tête et la libido de Chloé, bienvenue chez François Ozon. Lors de sa projection devant la presse à Cannes, L’Amant double a fait rire. Ce n’est peut-être pas tout à fait le but que recherchait Ozon, mais on peut légitimement le soupçonner de s’être lui-même beaucoup amusé en écrivant son scénario (inspiré d’une nouvelle de Joyce Carol Oates).

Voici donc Chloé, une jeune femme dont la beauté est éteinte par une étrange douleur, qui lui tord le ventre. Quand elle rencontre Paul, ces maux disparaissent, remplacés par l’amour que le jeune médecin lui porte, qui le conduit à proposer de changer la relation thérapeutique en cohabitation. Ils s’installent dans un grand appartement très haut dans une tour, à côté de celui de Rose (Myriam Boyer), version urbaine de la vieille à la quenouille. Un jour, à travers les vitres d’un autobus et d’un hall d’immeuble du 16e arrondissement, Chloé croit reconnaître son amant. C’est en fait son jumeau maléfique, sous la coupe duquel elle se laisse tomber avec volupté.

Jérémie Renier et Marine Vacth dans le film français de François Ozon, « L’Amant double », présenté en compétition au 70e Festival de Cannes et sorti en salles vendredi 26 mai 2017. | MARS FILMS

Corps parfaits

François Ozon profite des corps parfaits de ses interprètes. La première photo du film publiée montre Jérémie Renier et Marine Vacth nus, assis vis-à-vis comme le font les analystes et leurs patients avant de passer sur le canapé. Cet homme double et cette femme ne font pas que deviser, ils font l’amour, souvent, dans des configurations, des humeurs très différentes, et François Ozon prend un plaisir communicatif à les filmer, au point qu’on se demande si ces séquences ne sont pas la raison d’être première du film.

Ces désirs exprimés, assouvis ou contrariés, sont entourés d’une jungle de personnages et de signes qu’on croit déchiffrer un instant avant que l’énigme se reforme. Où est la fille disparue de Rose ? Qui est cette autre fille, clouée au lit par un mal mystérieux, veillée par une mère (Jacqueline Bisset) animée d’une haine inextinguible ? Comme dans un rêve, chaque élément relève d’une logique imparable, que l’on aura oubliée au réveil.

François Ozon s’est lancé dans la mise en scène d’un paysage mouvant et insaisissable, un inconscient féminin

L’Amant double n’a que la forme du thriller. Les décors clinquants peuvent bien faire penser au cinéma américain des années 1980, la terreur qui décontenance puis mine l’héroïne n’est pas celle des femmes en danger de Psychose ou Rosemary’s Baby. Le péril dans lequel elle se trouve est intérieur, comme le lui rappelle sans cesse son ventre. Bref, feignant de satisfaire aux lois d’un genre, François Ozon s’est lancé dans la mise en scène d’un paysage mouvant et insaisissable, un inconscient féminin.

Il le fait avec sa virtuosité habituelle, mettant ses motifs habituels (un jour, un étudiant en architecture écrira peut-être un essai sur l’univers pavillonnaire chez Ozon, ici c’est Jacqueline Bisset qui l’occupe) au service de sa tentative, parvenant souvent à la vérité des pulsions qu’il semble rechercher. Il y met aussi de la désinvolture, ce qui ne surprendra personne, mais empêche peut-être le cauchemar de Chloé de se graver aussi profondément dans l’inconscient du spectateur que son inventeur l’aurait voulu.

L'amant double - de François Ozon - Bande-Annonce

Film français de François Ozon avec Marine Vacth, Jérémie Renier, Jacqueline Bisset, Myriam Boyer (1 h 47). Sortie en salles vendredi 26 mai. Sur le Web : www.marsfilms.com/film/lamant-double