Un graffiti dans le centre de Manchester, endeuillée par un attentat, lundi 22 mai. | AFP

Manchester s’est transformée en ruche. Depuis l’attentat qui a endeuillé la ville lundi 22 mai, les abeilles fleurissent sur ses murs, ses trottoirs, ses écoles, ses jardins et la peau de ses habitants. A la recherche d’une manière d’unir leur hommage aux 22 morts et 75 blessés de la Manchester Arena, les Mancuniens se sont spontanément tournés vers ce symbole oublié de leur cité ouvrière.

Sur les armoiries de la ville, datées de 1842, les abeilles sont discrètes. Bien moins visibles que le lion et l’antilope, les emblèmes du roi Henry IV, ou le trois-mâts toutes voiles dehors qui trône en son centre, mais elles en dominent le tableau héraldique. Sept abeilles qui témoignent du passé industriel de la grande ville du nord de l’Angleterre et racontent l’histoire de ces ouvriers, organisés dans les célèbres usines cotonnières, qui ont fait l’identité de Manchester. « Busy bee », dit-on en anglais de cette main-d’œuvre vrombissante.

Après l’attaque de lundi, la tatoueuse Sam Barber n’a pas dormi. Pour exprimer sa peine, elle s’est tournée vers son art. « Je cherchais quelque chose de fort, de visuel, pour sortir tout ce que j’avais en moi », explique cette petite brune aux bras en noir et blanc. « Quelque chose d’ancien mais pas grégaire, quelque chose de pacifiste mais pas patriotique », avance-t-elle. « Quelque chose qui a du répondant aussi, ajoute-t-elle. Les abeilles ne sont pas agressives par nature, et ne piquent que quand c’est dans l’intérêt de la colonie. »

« Premier et sûrement dernier tatouage »

Depuis, la file d’attente s’allonge devant sa petite échoppe de Stalybridge, à l’est de Manchester. Tous sont venus offrir leurs bras, leurs tibias, leur torse, pour « inscrire sur notre peau notre appartenance à cette ville », explique Mary Grace, une infirmière de 47 ans. « Tu crois qu’on reconnaîtra l’abeille ? Je ne voudrais pas qu’on la prenne pour un papillon », soupire un grand au crâne rasé aux trois quarts. Derrière lui, un bibliothécaire du quartier se lance dans une tirade d’Henri V, de Shakespeare. « For so work the honey-bees, creatures that by a rule in nature teach the act of order to a peopled kingdom » (« Ainsi travaillent les abeilles, créatures qui, par une loi de nature, enseignent le principe de l’ordre aux monarchies populaires »).

Parmi eux, le député travailliste Jonathan Reynolds, qui a montré son « premier, et sûrement dernier, tatouage » sur les réseaux sociaux. « Nous nous rencontrerons en faisant les courses au supermarché, ou en allant au pub. Nous verrons ces abeilles et nous nous reconnaîtrons, nous nous souviendrons », a-t-il expliqué. Le montant du tatouage (50 livres) est reversé entièrement aux cagnottes mises en place pour soutenir les familles des victimes.

Une fresque murale, réalisée après l’attentat du 22 mai à Manchester. | AFP

« Ne laissez pas ma fille être une victime »

Dernière à avoir affiché fièrement son tatouage, Charlotte Campbell, dont les appels de détresse ont marqué le « jour d’après », et cette frénésie qui a parcouru la ville au lendemain de l’attaque. A la recherche désespérée de sa fille, Olivia, 15 ans, la mère de famille a retourné ciel et terre, intervenant dans tous les médias avec son accent du Nord pour trouver quelqu’un qui savait où se trouvait sa « petite brunette ».

Après l’annonce de la mort de la jeune fille, la native de Bury, au nord de Manchester, a prié ses concitoyens de « rester soudés ». « S’il vous plaît, ne laissez pas ça nous vaincre. Ne laissez pas ma fille être une victime », a-t-elle imploré.