Adèle Van Reeth, en 2016. | CHRISTOPHE ABRAMOWITZ/RADIO FRANCE

Adèle Van Reeth le dit : elle aime prendre des risques. Pour preuve, début 2017, elle a changé le nom de l’émission qu’elle présente, depuis 2011, sur France Culture, du lundi au vendredi, de 10 à 11 heures. « Les Nouveaux Chemins de la connaissance », programme le plus podcasté de la chaîne avec 2 millions de téléchargements par mois en moyenne, sont devenus « Les Chemins de la philosophie ». « Beaucoup de gens nous ont demandé si c’était un coming out. Ce n’est pas faux. Avant, parler de philosophie à la radio faisait peur, c’est moins le cas maintenant », assure Adèle Van Reeth.

La jeune philosophe de 35 ans a également modifié la manière dont elle lance son émission. « Je me suis dit que pour accrocher ceux qui écoutent en direct, il fallait faire comme au cinéma, où le premier plan doit vous prendre par les tripes, explique-t-elle. Désormais, je lance le sujet en une phrase suivie d’un son qui donne envie de rester, puis la discussion avec l’invité peut commencer. » Pari réussi : son émission a atteint un record d’audience de janvier à mars avec 210 000 auditeurs quotidiens, soit 58 000 de plus en un an.

Adèle Van Reeth aurait pu ne pas devenir la voix de la philosophie à la radio. Fille d’un archiviste et d’une mère au foyer, cette passionnée de cinéma qui a grandi entre Troyes, Besançon, Lyon, la Nouvelle-Zélande et Strasbourg, voulait devenir comédienne. Après le bac, elle renonce sous la pression de ses parents à suivre des cours de théâtre. Les études d’architecture l’ennuient. Elle arrête au bout d’un semestre. Un ami lui donne l’idée de passer le concours de Normale-Sup. Fromagère chez Auchan pendant six mois, elle en profite pour dévorer les livres de philo les uns après les autres derrière le stand. En classes prépa, elle persévère. A l’arrivée, elle décroche le concours de philo de l’ENS.

Sur les traces de Raphaël Enthoven

Elle découvre alors le monde de la radio lors d’un stage au sein de l’équipe de la matinale présentée par Nicolas Demorand sur France Culture. En 2008, Raphaël Enthoven, qui anime « Les Nouveaux Chemins de la connaissance », la prend sous son aile. Collaboratrice, puis chroniqueuse, elle interroge tous les jours, pendant deux ans, un philosophe qui vient de sortir un livre. Lorsque Raphaël Enthoven quitte l’émission en 2011, Olivier Poivre d’Arvor, alors directeur de France Culture, lui en confie les rennes, non sans avoir hésité.

« Il ne s’agit pas uniquement de s’intéresser à Platon et Spinoza. La philosophie est également dans le cinéma, dans la littérature, dans les choses du quotidien. »

Six ans après, elle mesure le chemin parcouru. Si elle est restée fidèle à la démarche de son mentor, elle a progressivement imprimé sa conception de la philosophie. « Une conception transversale, précise-t-elle. Pour moi, il ne s’agit pas uniquement de s’intéresser à Platon et Spinoza. La philosophie est également dans le cinéma, dans la littérature, dans les choses du quotidien. C’est aussi le goût de poser des questions, une forme de curiosité qui consiste à interroger ce qui paraît évident. C’est pour ça que la philosophie marche très bien à la radio. »

Adèle Van Reeth privilégie avant tout la spontanéité. Seuls quelques mots de présentation sont rédigés. « Le direct, c’est comme une danse, je ne peux pas avoir mon nez dans mes notes, je dois être entièrement disponible pour mon invité, explique-t-elle. Cela n’est possible que si j’ai tout lu sur le sujet, tout intégré et tout digéré. » Assistée par une équipe de trois collaborateurs, elle accorde une grande importance aux textes lus, aux archives sonores et à la musique. « La radio, c’est aussi une humeur, un ton. Telle chanson crée un lien avec le thème du jour, une ambiance. L’émission a beau être exigeante, je veux aussi que l’auditeur passe un bon moment. »

« L’avenir, c’est Internet »

Si les thèmes qu’elle aborde sont intemporels, comme récemment l’érotisme, elle ne s’interdit pas de faire le lien avec le présent. Dans une émission consacrée à La Désobéissance civile, texte rédigé en 1849 par le philosophe américain Henry David Thoreau, elle faisait un rapprochement avec l’élection présidentielle, en posant une question qui ne manquait pas de sel : le vote ne détourne-t-il pas notre attention de l’engagement véritable ? Pour autant, Adèle Van Reeth se garde de donner son avis dans l’émission.

La philosophe se livre davantage dans les chroniques qu’elle signe dans l’hebdomadaire Le 1 et dans le mensuel Lire. Elle s’est également lancée dans l’écriture de livres d’entretien avec des philosophes. Elle en a déjà publié cinq chez Plon sur les thèmes de la jouissance, de l’obstination, de la méchanceté, du snobisme et de la pudeur. En ce moment, elle écrit sur la vie ordinaire. « Je ne sais pas sous quel format ce sera publié, mais ce sera quelque chose de plus personnel », confie-t-elle.

Adèle Van Reeth a aussi fait de la télévision. Pendant trois ans, elle a animé une chronique dans l’émission de débats critiques sur le cinéma, « Le Cercle », présentée par Frédéric Beigbeder sur Canal +. Une expérience à laquelle elle a mis fin après la naissance de son fils. « Je n’exclus pas de revenir à la télé. Mais il me semble que les choses ne se passent plus vraiment là en ce moment, analyse-t-elle. L’avenir, c’est Internet. Je pourrais tout à fait avoir une chaîne YouTube. On va vers ça de toute façon. » Adèle Van Reeth, une philosophe qui sait où elle va et ce qu’elle veut.