En guise de dessert, un bain de sang. Le dernier film de la compétition est une variation féministe sur le thème de Taxi Driver, un collage dégoulinant d’hémoglobine, qui réarrange les éléments d’un genre – le film de vengeur urbain – avec ironie. Celle-ci fait un puissant antidote à l’adrénaline et You Were Never Really Here impressionne plus par une puissance conceptuelle rarement appliquée à ce genre de matériau que par l’excitation que l’on en retire.

Au centre de son film, Lynne Ramsay a placé un homme massif, brutal, dont l’arme d’élection est un marteau. Sous la barbe et l’embonpoint, on reconnaît Joaquin Phoenix. Le scénario – car il y en a un – fait de lui un ancien combattant de la guerre d’Irak, un ex-agent du FBI, qui s’est reconverti dans le recouvrement d’adolescents disparus. C’est moins à Phoenix, qui de toute façon passera la moitié du film le visage à moitié paralysé par un tir d’arme de poing, qu’à la mise en scène de définir qui est Joe : à force de flash-back qui sont aussi des lieux communs (atrocité sur le théâtre des opérations, enquête qui tourne mal, violence domestique pendant la petite enfance), il est établi que Joe – car c’est son nom – est le produit de la violence des hommes. Il n’est pas ici question de l’espèce, mais du genre.

Lorsqu’on lui demande de récupérer la fille adolescente d’un sénateur de l’Etat de New York dans un bordel huppé, Joe est pris dans une de ces conspirations qui nourrissent les séries télévisées modernes (voir True Detective) et les réseaux sociaux (souvenez-vous de la pizzeria de Washington). La mort le précède, le suit ou arrive par les soins de notre sombre héros.

L’acteur Joaquin Phoenix à Cannes, le 26 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

On se sent chez soi

Lynne Ramsay décortique très méthodiquement toutes ces images qui font qu’on se sent comme chez soi en regardant une tuerie : les plans empruntés aux caméras de surveillance, les ellipses qui permettent, d’un coup de ciseau, de passer du plan d’un personnage vivant à celui du même personnage passé dans l’autre monde, les plans de pièce vide qui annoncent la présence d’un cadavre dans un recoin.

Héritier de Travis Bickle, le chauffeur de taxi de Scorsese, décidément aussi souvent cité que Godard au long de cette 70e édition, Joe fait couler des rivières de sang pour faire barrage à l’iniquité. Jusqu’à ce que le film, après un meurtre qui touche de trop près Joe, bascule dans un autre registre. Il se fait alors plus lyrique – et la partition de Jonny Greenwood lui donne en la matière un sérieux coup de main – pour tourner le dos au faux réalisme (bas-fonds sous la pluie, allées mal éclairées…) qu’il empruntait jusqu’ici. Ce que raconte alors Lynne Ramsay relève directement de la guerre entre les sexes (qu’elle estime manifestement paroxystique). Joaquin Phoenix, plantigrade terrifiant et parfois gros nounours, est obligé de céder la place du conducteur à Boucle d’or, à la petite victime qu’il était censé sauver du mal.

Plus que comme une libération, ce retournement apparaît comme un tour de passe-passe. Lynne Ramsay, après avoir démontré qu’elle pouvait mettre en scène la violence comme le plus tarantinesque des mâles hollywoodiens, retourne le seau de sang pour montrer qu’il était en fait vide. On s’en réjouira sans vraiment s’en amuser.

YOU WERE NEVER REALLY HERE First Look Trailer (2017) Joaquin Phoenix Mystery Movie HD

Film britannique, américain et français de Lynne Ramsay avec Joaquin Phoenix Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola (1 h 35). Sortie en salles prochainement. Sur le Web : www.festival-cannes.com/fr/films/you-were-never-really-here