ANALYSE Hassan Rohani tient-il encore l’équilibre ? A première vue, le président modéré iranien sort renforcé du scrutin du 19 mai. Il a été réélu à une majorité sans appel, 57,1 % des voix. Il a su rassembler ces votes dans des zones rurales et non pas seulement dans les grandes villes. Il est majoritaire hors d’un axe central étroit, qui traverse le cœur historique de l’Iran : de la frontière afghane à la ville religieuse de Qom.

Pourtant, pour assurer sa réélection, M. Rohani a dû basculer sur sa gauche, vers les réformateurs, bien plus qu’il ne l’entendait en début de campagne. Cela le gênera pour accomplir le grand objectif de son second mandat : après avoir amorcé une détente avec l’étranger, en signant l’accord sur le nucléaire en juillet 2015, il lui faut trouver une paix sociale à l’intérieur des frontières.

En campagne, les adversaires conservateurs de M. Rohani ont attaqué son bilan économique mitigé – les fruits du « deal » tardent à venir. Des accusations de corruption ont été lancées avec une violence inédite. Pour ­contrer ces attaques, le président a soufflé sur les braises du « mouvement vert » – cette vague de contestation née de la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence, en 2009, et sévèrement réprimée.

M. Rohani a dénoncé comme aucun candidat avant lui les abus de l’institution judiciaire, les ingérences politiques des forces armées et du renseignement. Qu’il n’y ait pas eu de second tour, après le désistement ou l’effacement de la plupart des candidats, arrange le nezam, le « système » : qui sait jusqu’où ces débordements seraient allés si cette courte campagne avait duré une semaine encore ?

Le président iranien a peu de chances de décevoir les réformateurs : ils se satisfont d’une évolution lente

Son costume libéral gêne M. Rohani : c’est le sort de tous les présidents iraniens qui fondent leur autorité corsetée sur le suffrage universel, rivalisant avec les instances non élues, en premier lieu avec le Guide suprême, Ali Khamenei. Lundi 22 mai, M. Khamenei a félicité les Iraniens, qui s’étaient rendus si nombreux aux urnes (la participation s’élève à 73 %), mais il a ostensiblement négligé de nommer M. Rohani.

Les alliés conser­vateurs du président sont gênés, eux aussi. « Ils doivent sauver la face », dit l’un de leurs conseillers. Ils s’effraient de se voir assimilés à cette jeunesse en vert qui transforme depuis 2013 les rues des grandes villes d’Iran en boîte de nuit à chaque victoire, comme un rite de passage. Un coup de barre vers le conservatisme est donc attendu.

M. Rohani a peu de chances de décevoir les réformateurs : ils se satisfont d’une évolution lente. Le 19 mai, lors d’élections locales qui se tenaient en même temps que la présidentielle, ils ont pris les conseils municipaux des principales villes du pays. Cela les aidera à mener les actions sociales et culturelles de terrain que M. Rohani encourage et protège. Mais l’Iran que M. Rohani doit emmener avec lui, c’est le pays conservateur, provincial, qui a rejoint peu à peu les classes moyennes depuis 1979 et qui s’est lassé, sous la présidence de M. Ahmadinejad, des promesses populistes dont les ultra-conservateurs abusent.

Le tournant chinois

Une majorité d’Iraniens a moins de 30 ans, mais le pays vieillit. M. Rohani veut précipiter le tournant chinois de la République islamique. Il souhaite une ouverture à l’économie de marché, et renvoyer la Révolution aux livres d’histoire. Il aura fort à faire avec les révolutionnaires purs et durs.

Sans leaders capables de rassembler le pays, les conservateurs « principalistes » rappellent que leur candidat, le clerc Ebrahim Raisi, a réuni 38 % des ­votes, leur score de 2013, malgré un élargis­sement du corps électoral de 6 millions de votants. Ils promettent à M. Rohani une guerre de tranchées depuis l’institution judiciaire et l’appareil sécuritaire, qu’ils contrôlent.

Cette lutte sera avivée par la perspective de la succession du Guide, âgé de 77 ans. M. Rohani peut espérer influer sur le processus, même si le cœur du pouvoir est âgé et dominé par les milieux sécuritaires, où les modérés ne sont pas légion. A l’étranger, M. Rohani sait que l’ouverture qu’il promet sera lente et limitée.

Il cherche à faire étape dans les grandes routes commerciales que bâtissent la Chine et l’Inde. Il compte sur des investissements européens. M. Rohani a promis de faire lever les sanctions non liées au nucléaire qui gênent encore ces investisseurs, c’est-à-dire de négocier de nouveau avec les Etats-Unis. Cette promesse a paru intenable, suicidaire.

Négocier avec les gardiens de la révolution

Dimanche 21 mai, lorsque le président américain, Donald Trump, professait à Riyad sa volonté d’isoler l’Iran chiite, M. Rohani est resté discret. Il parie que M. Trump ne voudra pas priver les entreprises américaines du marché iranien qui s’ouvre. Au pire, espère-t-il, l’Amérique sera trop enferrée dans ses affaires domestiques pour peser réellement au Moyen-Orient.

M. Rohani a lancé des efforts diplomatiques en direction du Golfe depuis le mois de janvier. Pour les mener à terme, il lui faudra négocier, à Téhéran, avec les gardiens de la révolution, la principale force armée du pays, qui ont la haute main sur la politique régionale – ils cimentent les alliances iraniennes au sein des Etats irakien, syrien et libanais, ainsi qu’avec des groupes miliciens locaux.

Un gardien vient d’être nommé ambassadeur à Bagdad, en Irak, où Téhéran lutte en bonne intelligence avec les Etats-Unis contre l’organisation Etat islamique. Un diplomate proche de M. Rohani a pris en charge l’ambassade de Damas. L’Iran rêve de voir la survie du régime syrien, qu’il maintient en place depuis 2012, entérinée par un accord international conclu selon ses termes. Le ministère des affaires étrangères assure, sans donner le moindre gage, que la région est mûre pour cela.