Dans un supermarché de Nairobi, le 8 mai. | BAZ RATNER / REUTERS

« Vous en avez besoin ? Nous l’avons ! » C’était, jusqu’à ces dernières semaines, la devise de Nakumatt. Mais le géant kényan de la grande distribution va peut-être avoir besoin de changer de slogan. Depuis quelque temps, ses étalages sont en grande partie vides, des produits de base, tels le lait et le sucre, manquant en nombre.

Et pour cause : Nakumatt traverse une crise sans précédent. La chaîne de supermarchés emblématique du pays, lestée par une dette de plus de 130 millions d’euros, est engagée dans un périlleux plan de rationalisation de ses activités. Fermeture de trois enseignes, dont une, symbolique, dans le centre de Nairobi, cession de 25 % de son capital à un partenaire international stratégique, réduction de la gamme de ses produits… On ne trouve déjà plus sur ses échoppes que trois marques d’eau minérale, contre douze auparavant.

Des chaînes perclues de dettes

Les chalands ne reconnaissent plus « leur » Nakumatt. Il y a quelques mois, pourtant, tout semblait aller pour le mieux. Avec plus de 60 magasins ouverts dans quatre pays (Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie), 250 000 clients quotidiens et un chiffre d’affaires avoisinant les 525 millions d’euros, la chaîne se targuait de répondre à tous les besoins de la classe moyenne est-africaine, des biens alimentaires jusqu’aux vêtements, articles de sport, bricolage et électroménager. Son président, le multimillionnaire kényan d’origine indienne, Atul Shah, pouvait regarder l’avenir avec sérénité, à l’image de la mascotte de l’entreprise : un éléphant déterminé, posant sur un rassurant fond bleu.

Mais les beaux jours semblent déjà loin. Nakumatt n’est d’ailleurs pas – loin de là – la seule enseigne à engranger des pertes. Après des années d’expansion, Tuskys, Naivas et Uchumi, autres leaders du secteur possédant chacun des dizaines de supermarchés au Kenya, sont aujourd’hui perclus de dettes. Tous revoient leurs ambitions ainsi que leurs stocks à la baisse et paient leurs fournisseurs avec des mois voire des années de retard.

Sur le papier, la région fait toujours figure d’eldorado pour les enseignes de supermarchés. Ainsi, environ un tiers des Kényans (et la moitié des urbains) effectueraient leurs achats en grande surface, plutôt que dans les échoppes traditionnelles. Pour l’Oxford Business Group, il s’agirait du deuxième plus fort taux de pénétration de la grande distribution pour un pays d’Afrique subsaharienne. « Cela place le pays environ à la moitié du niveau de l’Afrique du Sud (…) mais à deux fois celui du Nigeria », soulignait la société d’analyse de marché, dans une note de 2016.

« Véritable saturation »

Mais l’offre a dépassé la demande. « Alors que nous ouvrions de nombreux nouveaux magasins dans plusieurs pays, la clientèle n’a pas suivi au même rythme », confie Andrew Dixon, directeur du marketing chez Nakumatt. « La taille de la classe moyenne, dotée de revenus disponibles pour consommer, n’a pas augmenté aussi vite qu’on le prévoyait dans la région », admet-il.

En 2011, la Banque africaine de développement (BAD) évaluait généreusement cette classe moyenne à une trentaine de millions d’habitants pour les cinq pays de la région (Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie). Un chiffre controversé, mais qui a excité l’appétit des enseignes de la distribution et les a poussées à investir et à s’endetter – souvent à outrance.

A Nairobi et dans les grandes villes kényanes, il n’est pas rare de trouver trois ou quatre grandes surfaces dans la même rue. « On a ouvert des magasins à tour de bras, sans respecter les études de marché ou la capacité des populations. Résultat : il y a une véritable saturation de supermarchés, surtout au Kenya, un fort endettement et de gros problèmes d’approvisionnement », constate Julien Garcier, directeur de Sagaci Research, société d’études de marché spécialisée sur la distribution en Afrique.

Concurrence de Carrefour et Walmart

« La classe moyenne kényane et est-africaine est certes en croissance, mais n’a pas été capable d’absorber une offre aussi abondante. Elle a, en plus, été surévaluée par Nakumatt et les autres chaînes de supermarchés », opine Eric Munywoki, analyste financier chez Sterling Capital. De plus, les personnes appartenant à cette classe moyenne sont plus fragiles financièrement qu’on ne l’imagine : ainsi, 66% des quelque 17 millions de Kényans estampillés « classe moyenne » par la BAD vivent avec 2 à 4 dollars par jour.

Chez Nakumatt, pas sûr que l’embellie soit pour demain : la Banque mondiale prévoit un ralentissement de la croissance kényane en 2017. En cause : la sécheresse, qui a déjà entraîné la destruction de cultures et la mort du bétail, l’explosion du coût de l’énergie et une inflation dépassant les 20 % sur les biens alimentaires. Autant de facteurs qui pourraient nuire à la consolidation de la classe moyenne et ralentir le développement de la grande distribution.

D’autant que les enseignes kényanes, qui ont souvent commencé comme simples épiceries dans les années 1960, sont désormais en concurrence au Kenya avec les fleurons mondiaux de la grande distribution, Carrefour et Walmart. « Ce sont des groupes avec des moyens plus importants, qui peuvent payer des loyers plus chers. Ils font pression sur les groupes kényans », poursuit M. Munywoki. Le groupe français a ainsi ouvert l’un de ses deux supermarchés kenyan au sein du centre commercial Two Rivers de Nairobi : inauguré cette année, il est le plus vaste d’Afrique centrale et orientale, et attire une clientèle aisée. « Un emplacement qu’aucun supermarché kényan n’a pu se payer », assure M. Munywoki.