Emmanuel Macron, avant son meeting à Lyon, le 4 février. | SOAZIG DE LA MOISSONIERE / IP3 PRESS / MAXPPP

Emmanuel ­Macron seul face au miroir, les yeux fermés, se concentrant avant un meeting. Avec François Bayrou, au Palais de Tokyo, juste après la conférence de presse consacrant leur alliance historique. A son QG de campagne, qui rappelle une start-up de jeunes geeks. Chez une dame du Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), le temps d’un selfie bon enfant avec sa femme Brigitte. De dos, en ombre chinoise, en noir et blanc, face à la pyramide du Louvre (des clichés présentés sur ­Twitter).

Ces images de ­moments plus ou moins intimes, prises au plus près, ont été réalisées par Soazig De La Moissonnière. La seule photographe habilitée à rester dans les pas du futur président pendant la campagne d’En marche !.

Ainsi l’a voulu l’équipe de communication du candidat qui, depuis le début de l’aventure, contrôle au plus près son image. Elle a fait appel à Bestimage, une agence spécialisée dans les reportages people « façon paparazzi », pour fournir des sujets sur le couple ­Macron à Paris Match. Son équipe de tournage a été la seule autorisée à filmer, le 26 avril, la discussion musclée du candidat avec les ouvriers de l’usine Whirlpool d’Amiens. Et seule Soazig De La Moissonnière le suit comme son ombre : elle est « embedded with Macron », comme dit son compte Twitter.

Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, Mounir Mahjoubi et le graphiste Thibault Caizergues regardent le nouveau site Internet d’En Marche !, à Paris, le 2 février. | SOAZIG DE LA MOISSONIERE / IP3 PRESS / MAXPPP

Clichés officiels qui prétendent raconter une ­histoire officieuse

Que nous disent ces photos du nouveau président ? Nous apprennent-elles quelque chose de ses ­convictions, sa conception du pouvoir, ses qualités ­humaines ? « Ces images n’échappent pas à une ­contradiction inhérente : ce sont des photos de propagande, officielles, qui prétendent nous raconter une ­histoire officieuse, privée, ­estime Vincent Lavoie, ­spécialiste du photojournalisme, professeur d’histoire de l’art à l’université d’Ottawa ­ (Canada). Emmanuel ­Macron y apparaît saisi dans son intimité, tel quel, spontané, donc livrant une part de sa vérité. Et pourtant, elles semblent fabriquées. »

D’où sa gêne face à cette photo où le candidat se concentre devant un miroir. La lumière est belle, le cadrage choisi, Emmanuel Macron ferme les yeux pour échapper à son reflet. Il semble tout oublier… « Mais il n’est pas sûr qu’il oublie l’objectif du photographe, ni le regard de tous ceux qui vont voir cette image ! Difficile, comme pour plusieurs autres de ses photos, de ne pas penser à une connivence. A une pose. A de l’affectation », poursuit Vincent Lavoie.

Brigitte et Emmanuel Macron avec des adhérents d’En Marche !, au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne), le 30 décembre 2016. | SOAZIG DE LA MOISSONIERE / IP3 PRESS / MAXPPP

Selon lui, Soazig De La Moissonnière, qui a d’abord été la photographe attitrée de François Bayrou, n’est pas en cause. Elle s’acquitte du difficile exercice de l’embedded : « Elle doit montrer des moments “vrais”, de coulisses, sans ­aller contre son sujet. C’est le contrat. »

Organiser pour des magazines à grand tirage ses propres séquences de fausses « photos volées » par des paparazzis, s’attacher des photoreporters chargés de montrer des « images familières » : ce « off mais on » est devenu un classique de la « rhétorique de l’image des gens de pouvoir et des stars ». Cette mise en scène de leur vie quotidienne fait désormais partie de la construction de leur légende médiatique, leur « storytelling ». Le photographe choisi doit jouer le jeu.

« Un regard de coulisses »

Visionnant ces images, l’historien Christian Delporte, auteur d’Une histoire de la séduction politique (Flammarion, 2011), fait une analyse proche : « Ces photos cherchent à raconter une grande saga, celle de la naissance d’un dirigeant. Emmanuel Macron, nous disent-elles, en concilie toutes les vertus. La solitude qui suscite l’admiration. La simplicité qui nourrit la sympathie. L’attention et l’énergie du manageur qui alimentent l’enthousiasme. »

A ses yeux, les images en noir et blanc du Louvre, où ­Macron semble marcher vers son destin, sont plutôt réussies : elles resteront, pense-t-il, car elles introduisent une distance temporelle avec l’événement, comme s’il était déjà d’une autre époque. Elles « l’historicisent » et contribuent à « apporter une épaisseur, une hauteur » au personnage. « C’est ce syncrétisme entre le politique habité par sa fonction et le personnage proche de ses équipes, ajoute-t-il, qui participe à la mise en scène du “grand homme”. »

Emmanuel Macron et François Bayrou,au lendemain de leur alliance, au Palais de Tokyo, à Paris, le 23 février. | SOAZIG DE LA MOISSONIERE / IP3 PRESS / MAXPPP

Soazig De La Moissonnière a-t-elle relevé le défi de transformer le nouveau président en personnage historique dès son élection ? Vincent Lavoie estime qu’il est trop tôt pour trancher. Mais il émet des réserves, en comparant notamment son travail avec celui de Pete Souza, le photographe attitré de Barack Obama.

« En regardant les photos de Souza, qui est un maître du cadrage, on découvre une intention forte : montrer Obama comme une personne profondément humaine, attentive aux autres, s’approchant de gens de tous les pays, toutes les religions, multipliant les gestes affectueux, un homme lumineux, souriant, et même drôle. Je ne vois pas d’intention dans le travail sur Macron, je ne vois pas un regard politique ou humaniste, seulement un regard de coulisses. »

« La propagande du jeune Bonaparte »

En historien, Christian Delporte élargit le cadre. Il rappelle que la valorisation d’un candidat, à partir d’images historiques mais aussi confidentielles et intimistes, a toujours été l’une des recettes favorites de la bonne communication ­politique.

Un des pionniers dans ce domaine a été le jeune Napoléon Bonaparte. Pendant la campagne d’Italie (1796-1797), il lance deux journaux, Le Courrier de l’armée d’Italie puis La France vue de l’armée d’Italie. Les articles tressent sa renommée de général qui « vole comme l’éclair et frappe comme la foudre », mais le présentent aussi comme proche de ses soldats, familier, visitant les blessés. Au même moment, le peintre Andrea Appiani fait son portrait officiel dans un style néoclassique, le transfigurant en héros apportant la liberté à ­l’Italie.

S’appuyant sur des ­récits embedded et des ­portraits « historiques », le futur Napoléon Ier forge son image d’homme providentiel, au destin exceptionnel, mais bon avec les sans-grade issus du peuple. ­Luce-Marie Albigès, conservatrice aux Archives de France, le rappelle : « Qu’est-ce que la légende napoléonienne, si ce n’est le fruit de la propagande du jeune Bonaparte ? »