Contre les projets d’exploitation offshore de la compagnie française Total, au large de l’Amazone, des militants de Greenpeace et d'ANV-COP21 se sont mobilisés dans une vingtaine de villes en France. | RÉMI BARROUX/ « Le Monde »

Vite fait bien fait. En trente minutes, à 10 heures, samedi 27 mai, une vingtaine de militants de Greenpeace et d’ANV-COP21 (Action non violente-COP21) ont redécoré une station-service Total, porte de Montreuil à Paris, aux couleurs de l’Amazone et de son récif de corail tout juste découvert. Quelques centaines de mètres plus loin, sur le boulevard périphérique, était tendue une banderole jaune proclamant « Station Total : récif en danger ».

Dans une vingtaine de villes en France, de semblables actions se déroulaient à l’appel des deux organisations, dans le cadre d’une journée mondiale de mobilisation contre Total. Six pays (Brésil, Luxembourg, Malaisie, Pays-Bas, Turquie et France) étaient associés à cette action menée pour faire pression sur la compagnie pétrolière française. Celle-ci entend forer au large de l’Amazone, à moins de trente kilomètres du récif révélé au grand public voici quelques mois, et à la limite des eaux territoriales françaises, celles de la Guyane, où la compagnie n’a pas eu l’autorisation d’explorer.

A la fin de janvier et au début de février, le navire amiral de la flotte de Greenpeace, l’Esperanza, a permis de mener à bien, dans les eaux brésiliennes, une mission d’exploration sous-marine, avec des scientifiques brésiliens, pour documenter ce récif corallien dont la présence avait été révélée dans une publication scientifique en avril 2016.

Les panneaux brandis dans les stations Total samedi, en forme de poisson, de corail, de tortue, illustraient la richesse de la biodiversité trouvée à une centaine de mètres au fond des eaux troubles et moins salines de l’embouchure de l’Amazone. Pour Greenpeace, tout projet de forage risque de mettre en péril la biodiversité rencontrée dans les eaux brésiliennes, tout autant que les centaines de kilomètres de côte, où se succèdent mangroves et forêts.

A Paris, samedi 27 mai, des militants de Greenpeace et d’ANV-COP21 ont occupé une station-service Total pour dénoncer les projets pétroliers au large du Brésil de la compagnie française. | RÉMI BARROUX/ « Le Monde »

Zone vierge de toute exploitation pétrolière

« L’embouchure de l’Amazone est une zone encore vierge de toute exploitation pétrolière, une nouvelle frontière que le groupe pétrolier s’apprête à franchir, affirme Thiago Almeida (Greenpeace Brésil). Nous sommes déterminés à protéger le récif et nous continuerons à nous mobiliser jusqu’à ce que l’entreprise renonce à ce projet. » Plus d’un million de personnes ont signé une pétition demandant à Total et à BP d’abandonner leurs projets d’exploitation offshore. Outre Total, la compagnie britannique BP vise en effet aussi l’exploitation de cette zone de quelque 625 km², au large du Brésil.

Pour Pauline Boyer (ANV-COP21), au-delà du risque de marées noires, il en va de la lutte contre le réchauffement climatique. « Total souhaite devenir la major de l’énergie responsable ? Une telle ambition n’est pas compatible avec ce projet d’extraction de pétrole offshore, extrêmement nuisible pour le climat, explique la jeune militante. Nous savons que nous devons laisser les énergies fossiles dans le sol. En s’engageant dans ce projet, Total va à l’encontre des objectifs de l’accord de Paris et met notre avenir en péril. »

De son côté, la compagnie française a fait savoir que le projet de forage ne mettrait nullement en péril le nouveau récif. Dans un document destiné aux autorités brésiliennes, notamment Ibama, l’agence environnementale nationale, Total présente l’ensemble des risques générés par ce projet d’exploitation de plusieurs plates-formes et les moyens envisagés pour parer à tout risque d’accident. La compagnie envisage d’exploiter, dans un premier temps, deux puits à 1 900 et 2 400 mètres de profondeur, « dès que les autorisations du gouvernement brésilien seront définitives », fait valoir Total.

Des mesures inadéquates

Ce document n’a pas convaincu le procureur de l’Etat d’Amapa qui a recommandé, le 3 mai, à Ibama de suspendre les licences accordées aux compagnies pétrolières. Dans un rapport présenté le 23 mai, Greenpeace démonte les arguments de Total, estimant que les mesures présentées par l’exploitant sont « loin d’être adéquates ». L’ONG internationale dénonce ainsi les choix de Total en cas de marée noire. « Les dispersants chimiques permettent de réduire le volume de pétrole affectant la faune marine vivant à la surface de l’eau. Cependant ils représentent également une nouvelle menace pour l’environnement, comme l’a montré la catastrophe de Deepwater Horizon [une plate-forme pétrolière appartenant à BP qui a explosé le 20 avril 2010, tuant onze personnes et déclenchant une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique] », écrit Greenpeace.

Le rapport souligne aussi que le recours à un dôme de confinement, destiné à bloquer le puits en cas d’accident, est totalement inapproprié. « Ce dôme se situe à Rio de Janeiro, de l’aveu même de Total, soit à quelque 4 000 km du lieu de forage, et il faudrait une dizaine de jours pour le faire venir, autant de temps laissé à la marée noire pour détruire le récif corallien ou les côtes », dénonce Jane Dziwinski, de Greenpeace.

Occupation brève de stations-service Total, banderole sur le boulevard périphérique parisien, samedi 27 mai, Greenpeace et ANV-COP21 ont agi contre les projets pétroliers de Total au large des côtes brésiliennes. | EMMANUEL SAPET

Les impacts d’un forage, même sans catastrophe, seraient considérables sur les écosystèmes fragiles que sont la mangrove, les forêts et le récif en mer. Pour Greepeace, il n’est pas question de laisser exploiter les fonds marins dans cette zone encore vierge de tout forage. « Total souhaite commencer les opérations en 2017 et BP en 2018. La priorité est d’empêcher le forage du tout premier puits », conclut le rapport, qui demande aux autorités brésiliennes d’annuler toutes les autorisations de forage.

« Total a échoué à fournir des informations complètes sur le récif de l’Amazone et l’impact qu’une telle marée noire pourrait avoir dessus. C’est pourquoi nous pressons l’entreprise de renoncer à son projet avant tout impact irréversible », déclare Edina Ifticene, chargée de campagne océans à Greenpeace.