Documentaire dimanche 28 mai sur Arte à 22 h 40

Michel Piccoli dans « Sept morts sur ordonnance » de Jacques Rouffio, en 1975. | TF1 FILMS

Il y a de nombreuses années, lorsqu’on demandait à Michel Piccoli de se définir en tant qu’acteur, il expliquait : « J’ai toujours voulu sortir des sentiers battus », avant d’ajouter : « Je ne veux pas plaire, je veux provoquer et impressionner. » A 91 ans – dont soixante-dix ans passés sur les plateaux et les planches –, l’acteur impressionne plus que jamais et reste provocant dans ses choix.

Lui qui, dès 1965, a interprété un Dom Juan très moderne devant la caméra de télévision de Marcel Bluwal, tourné près de deux cents films avec les plus grands réalisateurs (Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard ou Alfred Hitchcock), joué dans de très nombreuses pièces de théâtre (dont un ex­ceptionnel Roi Lear en 2007, au ­Théâtre de l’Odéon), produit de jeunes auteurs et réalisé trois longs-métrages, demeure, avec Jean-Louis Trintignant, un des derniers seigneurs du cinéma français toujours en activité.

C'est quoi Michel Piccoli ? - Blow up - ARTE

Après Jean Gabin, à qui il a consacré récemment un portrait très émouvant (Un Français nommé Gabin, sur France 3), Yves Jeuland s’est plongé dans la riche carrière de Michel Piccoli à travers un documentaire au titre explicite : L’Extravagant monsieur Piccoli. Mais plutôt que de retracer un parcours long de plus d’un demi-siècle, le réalisateur s’est limité aux années 1970, cette décennie prodigieuse où Piccoli tourna près de quarante-cinq films, dont treize avec trois des metteurs en scène qui l’ont le plus dirigé tout au long de sa carrière : Luis Buñuel (Le Charme discret de la bourgeoisie, Cet obscur objet du désir), Marco Ferreri (Liza, La Grande Bouffe, Touche pas à la femme blanche, La Dernière Femme) et Claude Sautet (Les Choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Vincent, François, Paul et les autres, Mado). Trois cinéastes aux styles très différents qui permirent à Michel Piccoli de devenir un acteur populaire. Le succès du film Les Choses de la vie, de Claude Sautet, avec Romy Schneider en est le grand tournant.

Au fil des archives, extraits de films et entretiens enregistrés aux différentes époques de sa vie professionnelle et personnelle (dont son mariage avec Juliette Gréco), Yves Jeuland brosse le portrait subtil d’un homme et d’un acteur qui n’a jamais hésité à prendre des risques. Sa filmographie montre qu’il a toujours fait preuve d’une belle lucidité et d’une grande intelligence dans ses engagements cinématographiques, théâtraux ou politiques. Des audaces qui lui ont valu maintes récompenses avec un prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1980 pour Le Saut dans le vide, de Marco Bellocchio, plusieurs Césars et deux Molières pour Le Roi Lear.

Un acteur total

Double cinématographique de Claude Sautet – « le fou total qui a toujours eu peur de le montrer complètement », dit de lui Piccoli –, acteur fétiche de Luis Buñuel, pour qui il était « le seul acteur fréquentable entre les claps », et alter ego de Marco Ferreri, « comble de la tendresse mais qui a toujours eu peur de vivre avec », Piccoli reste un acteur total qui s’est permis tous les excès dans ses rôles de bourgeois, flic ou pétomane suicidaire.

Dans le dernier très beau plan filmé dans un jardin parisien sous un soleil d’automne, Michel Piccoli est d’une rare élégance. Le sourire apaisé, il évoque « le désordre des choses » et dit ce qu’il aimerait qu’on retienne de lui : « Il a aimé son métier, l’a servi de son mieux. Ce ne serait pas mal et je crois que c’est vrai. » Avec, en fond sonore, cette petite musique douce et obsédante des Choses de la vie.

L’Extravagant monsieur Piccoli, d’Yves Jeuland (Fr., 2016, 55 min).