Martyn Hett, 29 ans, fait partie des 22 victimes du Manchester Arena. | AFP / Greater Manchester Police

Dans un monde idéal, Martyn Hett aurait sûrement habité l’une des petites maisons de brique de la Coronation Street. En fin d’après-midi, il aurait rejoint les personnages de la série la plus culte de Grande-Bretagne – plus de 8 000 épisodes ont été diffusés depuis le 9 décembre 1960 – pour partager une pinte sur les banquettes fleuries du légendaire Rovers Return.

Peut-être leur aurait-il montré le tatouage qui couvrait la moitié de son mollet gauche, celui qu’il décrivait comme « parfaitement inélégant » et qui lui avait valu un passage dans une célèbre émission consacrée aux « tatouages les plus laids ». Un portrait on-ne-peut-plus-kitsch de son personnage favori de la série, la fantasque Deirdre Barlow, derrière des barreaux de prison. « J’aime comme elle est banale », expliquait-il à la BBC, « un peu comme moi ».

Mais la vie n’est pas un épisode de soap opera. Et Martyn Hett est mort lundi 22 mai dans l’attentat du Manchester Arena, à la fin du concert d’Ariana Grande, dont les chansons lui « collaient un sourire débile sur [son] visage débile ». Mais de sa vie comme de sa mort, assurément rien n’aura été « banal » pour celui que son frère décrit comme « le gars le plus pénible du monde, mais parfaitement inoubliable ».

« Putain, il aurait adoré ça »

C’est lui, Dan Hett, qui a le mieux résumé son frère dans un message Twitter aussi désespérément cynique que drôle. « Je n’étais pas sûr d’approuver la dernière stratégie marketing de Martyn en termes de réseaux sociaux. Mais clairement, ça a marché », écrivait-il mardi soir alors que le nom de son frère apparaissait en trending topics, ces mots les plus utilisés sur le réseau social. « Je peux le dire sans aucun doute. Putain, il aurait adoré ça. »

Martyn Hett, 29 ans, était plus qu’un représentant de sa génération. Il la dépassait en tout. Sur son site Internet, ce chargé de relations publiques dans une boîte de communication mancunienne résumait les intérêts de sa vie : « les femmes fortes et la sous-culture ». « Et j’aime aussi faire des vidéos stupides avec une qualité de production très faible », ajoutait-il.

Son compte Twitter était une invraisemblable compilation d’hommages à l’esprit d’Internet, aux « unes » des tabloïds les plus « trashy », à son chat évidemment, à la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transsexuelle (LGBT), aux aspects les plus ringards de la culture so british, aux cocktails à base de prosecco. Et à Mariah Carey, car, comme elle, il se considérait comme « une diva ».

« Moi, la jouant profil bas pour ne pas que cette fête de départ ne soit pas focalisée que sur moi », écrivait-il en commentaire d’une photo le montrant en mini-salopette de jean, son beau visage aux traits fins et aux yeux clairs enroulé dans un immense drapeau américain pour célébrer ses vacances de deux mois aux Etats-Unis, qui devaient commencer le lendemain de l’attentat. « Un voyage exactement à mon image : mal préparé, complètement baroque, et qui part dans tous les putains de sens. »

« Montagne russe des émotions »

En décembre, Buzzfeed avait consacré un article au formidable élan qu’il avait créé sur le réseau social en partageant le récit de la déception de sa mère, qui voulait « raccrocher les aiguilles » après une kermesse où elle n’avait pas réussi à vendre une seule de ses marionnettes en tricot – « plutôt hideuses », reconnaissait-il. Mais Internet aime les belles histoires, et deux jours plus tard, la mère de Martyn Hett, Figen, croulait sous les commandes du monde entier pour ses « petits monstres lilas » ou « vert pomme ». « Twitter, tu es une montagne russe des émotions », avait-il commenté.

Sur la place St. Ann, au centre de Manchester, son petit ami, Russel Hayward, est venu se recueillir, vendredi. « Il a quitté ce monde exactement comme il l’a vécu : en étant au centre de l’attention », résume-t-il, les yeux rouges mais le sourire sans amertume. Parce qu’« il n’y a pas de rancœur à avoir quand on a eu la chance de vivre avec quelqu’un qui avait choisi de peindre chacune de ses journées aux couleurs de l’arc-en-ciel. »

La place St. Ann, dans le centre de Manchester, a été remplie de bouquets de fleurs en hommage aux 22 morts de l’attentat du lundi 22 mai. | Rui Vieira / AP

Des chevaux blancs

Sur le petit banc de bois au fond de leur jardin, c’est le même sentiment qui parcourt les parents de celui qui « tenait tout simplement à être fabuleux en toute occasion ». Absolutely fabulous.

« Je n’ai pas de haine ou de colère contre Salman Abedi, car je ne pense pas que cette personne mérite quoi que ce soit de moi, a expliqué sa mère devant les télévisions britanniques. Je suis triste pour lui qu’il ait gâché sa vie, mais clairement ce n’est pas le cas de Martyn. En vingt-neuf ans, il a vécu mille fois plus que la plupart des gens que je connais, y compris moi. »

D’une voix douce, Figen rappelle aussi que « Martyn avait toujours dit qu’il n’aurait jamais trente ans, il détestait l’idée de devenir vieux et ridé ». Le jeune homme, qui donnait l’impression de sortir tout droit des pages glacées d’un magazine, avait même planifié son propre enterrement, pour lequel il y aurait impérativement « un paquet de chevaux blancs ».
Dans la rue du Canal, où les drapeaux arc-en-ciel sur les pignons des pubs sont aussi nombreux que les perruques rose fluo, le portrait de Martyn a été scotché partout. En dessous, un rendez-vous : dimanche, 19 heures, place St. Ann. « Soyez là, amenez toute votre folie », a ajouté quelqu’un au feutre bleu turquoise sur l’une des affiches.

« Je pense qu’un jour peut-être je serai terrassé par le chagrin, écrivait vendredi son frère dans les colonnes du Manchester Evening News. Pour l’heure, la colère a été éclipsée par quelque chose d’un million de fois plus fort, ces millions d’actes de générosité pure de tous les habitants de Manchester. Je n’ai jamais été aussi fier de faire partie de cette ville. »