La paroisse catholique de Muanda possède un étrange calvaire : un christ tout neuf barricadé derrière des barreaux. En janvier 2007, des hommes armés attaquèrent cette petite ville côtière, située à l’embouchure du fleuve Congo. Le tribunal fut incendié ; le siège de l’administrateur du territoire, occupé ; le christ, décapité. Le curé crut bon de le protéger.

L’attaque était menée par Bundu Dia Kongo (« union des Bakongo » ou BDK), un mouvement qui mêle la mystique aux affaires politiciennes de la République démocratique du Congo (RDC). Dix ans plus tard, son chef et fondateur, Zacharie Badiengila, alias Ne Muanda Nsemi, fait parler de lui au-delà de sa province natale du Kongo-Central, autrefois nommée Bas-Congo.

Selon les autorités, il figurerait parmi les milliers de prisonniers évadés lors de l’attaque de la prison de Makala, à Kinshasa, dans la nuit du 16 au 17 mai. Un cadre du mouvement, joint par téléphone, jure cependant que Ne Muanda Nsemi est toujours incarcéré et que cette évasion spectaculaire est « une manipulation du pouvoir pour créer une psychose ». Depuis, le vrai faux fugitif reste invisible, alimentant les rumeurs et laissant planer la menace d’un nouveau foyer de violence en RDC.

Répression sévère

Un épais mystère entoure ce chimiste originaire de Luozi, territoire niché entre la frontière du Congo-Brazzaville et celle de l’Angola. On ne connaît pas la date de naissance du vieil homme émacié à longue barbe noire, qui apparaît en public vêtu d’une toge jaune ou blanche. Lui se dit « ancêtre vivant ». A l’instar du religieux indépendantiste Simon Kimbangu, né dans la même région, il dit avoir eu une « vision » à la fin des années 1960 : restaurer l’ancien royaume Kongo qui englobait l’Angola, le Gabon, une partie de la RDC et du Congo-Brazzaville et revenir à sa spiritualité préchrétienne.

Officiellement créé en 1986, le mouvement BDK est un vieil opposant au pouvoir central de Kinshasa. Son leader Ne Muanda Nsemi, élu en 2006 député du Bas-Congo puis de Kinshasa, fustige aussi bien le président de la République, Joseph Kabila, que l’exploitation du pétrole de sa région par la compagnie franco-britannique Perenco. « Les sociétés basées ici doivent procurer du travail aux autochtones, sinon je veux les chasser », dira-t-il en 2015. Il refuse même la promotion sociale de Congolais venus d’autres provinces, ce qui le fait passer pour « xénophobe ».

« Son combat pour notre peuple est juste, mais sa méthode est inacceptable », précise un chef coutumier local, sous couvert d’anonymat. Les makesa, ses adeptes, portant un bandeau rouge sur la tête, attaquent régulièrement les forces de l’ordre à l’arme blanche et à coups de noix de palme, qu’ils prétendent nimbées de pouvoirs magiques. En face, la répression est sévère : lieux de culte détruits, réunions interdites, arrestations nombreuses. En 2007, les makesa se révoltèrent contre la défaite de leur chef aux élections provinciales, qu’ils jugeaient truquées. Les affrontements firent au moins 134 morts, selon les Nations unies.

Pas à une contradiction près

Le vieux chef aurait-il été pris, lui aussi, dans la nasse de la course aux postes ? Après avoir longtemps dénoncé le régime, jusqu’à mettre en doute la nationalité de Joseph Kabila, il appellera finalement à lui accorder un sursis au pouvoir, quitte à être accueilli dans son propre fief par des huées et des pierres.

A l’issue d’un dialogue national organisé par le gouvernement, son bras droit issu du même village, le député Papy Mantezolo, est devenu vice-ministre fin 2016 dans le gouvernement comète de Samy Badibanga (17 novembre 2016-7 avril 2017). Mais le gourou aurait-il voulu plus ? Ses fidèles, entrés en clandestinité, ont en tout cas ressurgi fin janvier dans la ville de Kimpese, où des affrontements ont fait, d’après une source locale, au moins 31 morts.

« L’évasion de Ne Muanda Nsemi n’a pas ému la population, car il a perdu toute crédibilité à cause de ses violences et de ses revirements », estime la même source. Car, comme de nombreux leaders politiques de RDC, le chef du BDK n’est pas à une contradiction près. Après la nomination du gouvernement Badibanga, le 19 décembre 2016, Ne Muanda Nsemi a appelé à destituer Joseph Kabila. Poursuivi pour « outrage au chef de l’Etat » et « incitation à la haine », il a été arrêté le 3 mars dans sa résidence de Kinshasa puis incarcéré dans le quartier « VIP » de la prison surpeuplée de Makala. A 400 km de là, ses fidèles, recrutés parmi les plus pauvres comme dans l’administration locale, se cachent pour prier mais restent actifs. Quand on parle d’eux à Muanda, on chuchote et on répète : « Ce sont des innocents qui vont encore mourir. »