L’avis du « Monde » – à voir

Attachée de presse des cinémas Action, salles mythiques du Quartier latin, Elise Girard baigne depuis toujours dans la cinéphilie pure et dure et y est connue comme le loup blanc. L’envie de réaliser lui vient avec des documentaires exaltant le mérite des petits exploitants qui font vivre cette passion rigoureuse, puis avec la tentation de la fiction. En 2011, elle signait ainsi son premier long-métrage dans le genre, Belleville-Tokyo, avec Valérie Donzelli. D’inspiration autobiographique, le film faisait le récit, drôle et tragique, d’une rupture « hitchcocko-hawksienne » dans le petit ­milieu de la cinéphilie parisienne.

Six ans plus tard, Drôles d’oiseaux reconduit les qualités de ce frais coup d’essai. Durée concentrée, économies de bouts de chandelle, localisation de quartier, intangible fantaisie. Le milieu et les protagonistes ont toutefois changé, encore que, considéré du point de vue du nom de l’héroïne (Mavie, interprétée par Lolita Chammah), l’enjeu intime semble encore s’imposer. Mavie, jeune provinciale déboussolée à Paris, logée chez une amie délurée qui passe son temps à faire bruyamment l’amour dans la pièce d’à côté, fait ici la rencontre d’un homme (Jean Sorel, acteur à la carrière pléthorique et méconnue) qui a trois fois son âge.

Un doux fantastique parisien

L’homme, ténébreux, détenteur d’un mystère dont on finira par comprendre qu’il a trait à un engagement politique radical du côté de l’Italie, tient une librairie d’occasion à moitié désaffectée dans le Quartier latin, dont il n’a visiblement que faire. Il y embauche Mavie, et le couple noue petit à petit une relation élective d’ordre amoureux. Entre la jeune provinciale d’un autre temps et ce fugitif qui vit depuis des décennies en dehors de la loi, quelque chose comme une solidarité d’âme naît et se conforte.

Autour, un doux fantastique parisien, filmé par le chef opérateur Renato Berta, aide à leur sanctuarisation. Des oi­seaux tombent régulièrement du ciel, les rues sont étrangement vides, on escamote un cadavre, Paris ressemble à un décor de théâtre. Tout cela, en même temps, est si fragile, si délicat. On se demande parfois où le film veut nous mener. Peut-être à rien d’autre que cette image d’une fille qui pleure au cinéma, devant le cruel A bout de course, de Sidney Lumet, près d’un jeune homme qui se dispose à la réconforter.

Film français d’Elise Girard avec Lolita Chammah, Jean Sorel, Pascal Cervo, Virginie Ledoyen (1 h 10). Sur le Web : www.shellac-altern.org/films/451