Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, au château de Versailles, lundi 29 mai. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR « LE MONDE »

Editorial du « Monde ». Dans le faste du château de Versailles, la France a voulu, lundi 29 mai, donner un cours nouveau et meilleur à ses relations avec la Russie. Elle a bien fait. Comme Emmanuel Macron l’a rappelé à cette occasion, « aucun des enjeux essentiels de notre temps » ne peut trouver de solution « sans un dialogue » profond avec Moscou. C’est parfaitement exact. Mais, recevant Vladimir Poutine, son homologue russe, le président français a eu raison de dire que ce « dialogue » devait être « franc et direct » – c’est-à-dire ne rien cacher de nos différends.

Bouclant sa première séquence diplomatique depuis son élection – sommet de l’OTAN puis réunion du G7, les sept plus anciennes économies avancées –, M. Macron voulait, à juste titre, relancer la relation avec Moscou. Non pas que celle-ci ait été inexistante du temps du président François Hollande, mais elle restait lestée de nombre de malentendus : ingérence russe dans la campagne électorale française ; dossiers syrien et ukrainien au point mort sur fond de méfiance réciproque entre Français et Russes.

L’occasion était bien trouvée et de nature à flatter l’ego de Vladimir Poutine : inaugurer ensemble à Versailles une exposition sur Pierre le Grand, premier tsar à avoir amorcé le dialogue franco-russe, en 1717. Une heure de conversation en face à face a permis de dégager un état des lieux réaliste. Oui, reconnaît Paris, il faut « préserver l’Etat syrien », ce qui suppose de ne pas faire du départ de Bachar Al-Assad une précondition à toute discussion sur l’avenir politique de ce malheureux pays. Oui, dit-on encore, le bon format de discussion sur l’Ukraine reste celui réunissant Berlin, Paris, Moscou et Kiev, mais l’une et l’autre des parties les plus immédiatement concernées – comprendre Russes et Ukrainiens – doivent faire preuve d’un minimum de bonne volonté, ce qui n’est pas le cas.

Saisir un « moment européen »

La disposition à chercher des solutions avec ce partenaire indispensable qu’est la Russie est là, à Paris comme à Berlin, et sans doute fallait-il le réaffirmer. Mais elle suppose aussi un changement de comportement de la part du Kremlin. Il s’agit d’interdire à son protégé syrien l’emploi de l’arme chimique. Il s’agit de reconnaître que, même si l’Union européenne a multiplié les bourdes en Ukraine, les autorités de Kiev tirent leur légitimité d’une série d’élections libres et non d’un « putsch pro-nazi », comme on le dit à Moscou. Il s’agit de comprendre que les tentatives du Kremlin pour affaiblir l’UE, en soutenant l’ultra-droite europhobe sur le Vieux Continent, n’ont rien apporté à la Russie, bien au contraire.

A l’OTAN, avec Donald Trump et avec le Turc Recep Tayyip Erdogan, comme avec Vladimir Poutine à Versailles, M. Macron a imposé un ton. Le novice sur la scène internationale appelle les choses par leur nom – il n’a pas hésité à stigmatiser les calomnies, flirtant avec l’antisémitisme, véhiculées par certains médias d’Etat russes à son encontre. Plus important, il y a la volonté de saisir un « moment européen ». Entre le Brexit et l’isolationnisme mercantiliste de Donald Trump, pointé cette semaine par Angela Merkel, l’UE doit resserrer les rangs et renforcer son identité propre sur les grands sujets de l’heure – Ukraine, Syrie, réchauffement climatique.

La diplomatie Macron doit jouer sur ce registre : faire exister l’Europe, autant que faire se peut, dans un monde de blocs de puissance dirigés par des nationalistes. Sans illusions européistes mais avec détermination.