A Gonesse (Val-d'Oise), dimanche 21 mai 2017, contre le projet d'Auchan qui consommerait des centaines d'hectares de terres agricoles. | Photo : R. Bx.

Des enfants grattent la terre de semis de tournesols qui, pour en finir avec une légende, ne se tournent pas tant que ça vers le soleil. A côté viennent d’être plantés des semis de poivrons, de courges butternut et des grains de maïs qu’un néo-néo-rural espère voir pousser avec des haricots selon la méthode mexicaine. « Des radis, pas des Caddies », « Des champs, pas d’Auchan… », disent les pancartes prévues pour la manifestation qui aura lieu plus tard dans la journée.

Des radis, on en sème et on en mange ce dimanche dans les champs sur lesquels devrait pousser EuropaCity, un nouveau centre commercial de luxe, avec parc de loisirs intégré, à vingt kilomètres au nord de Paris. En périphérie de la périphérie, donc. Le Collectif pour le Triangle de Gonesse – le CPTG – a organisé une journée pour planter, pique-niquer et manifester contre le projet.

« “Là, c’est quoi ? Un golf ?”, demande un homme en regardant une petite colline de l’autre côté de la voie rapide. “Non, c’est là où sont enterrés des déchets toxiques.” »

Evidemment les agriculteurs sont rares parmi les pique-niqueurs. D’abord parce qu’ils sont rares tout court. Et puis parce qu’ils choisissent rarement la bordure d’une bretelle d’autoroute pour aller pique-niquer. Loin, devant nous, on aperçoit le Sacré-Cœur, la tour Eiffel, et même la Défense. Plus près de nous, la tour de contrôle du Bourget. Encore plus proche, un panneau pour la bifurcation de l’A16 et de la D917. « Là, c’est quoi ? Un golf ? », demande un homme en regardant une petite colline de l’autre côté de la voie rapide. De quoi bâtir la piste de ski couverte que promet EuropaCity ? « Non, c’est là où sont enterrés des déchets toxiques, les trucs qui dépassent sont des cheminées d’aération… »

Beaucoup de semis et de graines sont arrivés là dans des sacs parisiens en RER et en bus, après avoir traversé la France des ronds-points et des grands parallélépipèdes d’Ikea, Mondial Moquette, Kiabi ou Conforama que les manifestants redoutent de voir enfler toujours plus.

Debout dans l’herbe, Vincent Guérard, du CPTG, explique à un groupe où en sont les procédures. Politiquement, les fractures ne sont pas celles attendues. Le maire PS de Gonesse, soutien d’Hamon à la présidentielle, défend bec et ongles le projet de centre commercial, tout comme le PS du Val-d’Oise. De l’autre côté de l’autoroute A1, le maire Les Républicains d’Aulnay mène la fronde anti-EuropaCity. Le Front national est aussi contre le projet, mais pas assez pour se joindre à un pique-nique en sandales.

L’enjeu : la conversion de terres bon marché

Un homme propose de parler aux portefeuilles des investisseurs. Après tout, le centre commercial d’Aubervilliers pique du nez, ceux d’Aéroville et de Paris Nord ne sont pas dans une forme olympique. « On pourrait convaincre les investisseurs du manque de rentabilité du projet… » Le naïf ! Les organisateurs du rassemblement lui expliquent que la culbute des projets de centres commerciaux tient à la conversion de terres agricoles, pas chères, en terres constructibles, puis en surfaces commerciales revendables. Les promoteurs connaissent les biorythmes des centres commerciaux, que l’on promet haut de gamme à leur création avant que de nouveaux ne poussent à fuir la laideur de leurs carcasses à demi-vides. Même le dernier préfet d’Ile-de-France, Jean-François Carenco, avait admis en 2016 qu’il y avait des risques qu’Aéroville et Paris Nord périclitent face à EuropaCity.

« Faut commencer à faire comme à Notre-Dame-des-Landes, construire des cabanes, qu’il y ait quelque chose… »

Sous la tente, un homme rappelle les luttes du Larzac où le terrain avait été découpé et revendu au mètre à des centaines d’acheteurs pour ralentir le rachat. « On pourrait faire pareil… » L’animateur fait « hmmm », et ne lui répond pas qu’un avocat lui a déjà dit que ça permettrait de gratter deux mois, pas plus. « Hmmm », répond-il aussi à une jeune qui s’impatiente. « C’est quand la prochaine manif ? Quand est-ce qu’on fait une ZAD [zone à défendre] ? Ce qu’on a planté, on ne va pas l’arroser une fois par mois… Faut commencer à faire comme à Notre-Dame-des-Landes, construire des cabanes, qu’il y ait quelque chose… Les 500 personnes qui sont venues planter, on ne va pas les laisser partir sans leur dire quand revenir… »

Image de synthèse figurant le futur complexe EuropaCity. | EUROPACITY

Vincent Guérard n’a rien contre mais il sait que le collectif, appuyé par la Confédération des commerçants de France, ne va pas appeler à l’occupation des lieux. Un autre jeune est en effervescence. « Pas loin d’ici, il y a tous les jeunes de Nuit debout, le Front social qui s’organise contre le gouvernement… » « Occupy Gonesse », lit-on sur un panneau. « Il faut tester le nouveau ministre de l’intérieur ! », ajoute une voix. « Hmmm… »

Du Larzac à Nuit debout en passant par la négociation politique et la Confédération paysanne… A chaque génération de protestataires ses solutions. « C’est parce qu’ils ont réussi à coexister que ça a marché chez nous… », m’explique un retraité en chemise à carreaux. C’est Julien Durand, agriculteur sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, venu avec une quarantaine d’autres défendre les terres de Gonesse.

La manifestation se met en marche. Dans le champ derrière le cortège, on laisse un épouvantail. A ses pieds, on a planté de (faux) billets de 20 euros. Histoire de voir quel blé pousserait le premier.