La chambre anéchoïque (ou chambre sourde) de l’IRCAM. | PHILIPPE BARBOSA

Tout commence en 1977. En même temps que celles du Centre Pompidou, ouvrent, « en face », les portes d’un curieux bâtiment construit lui aussi par Renzo Piano et ­Richard Rogers. Sans provoquer de scandale architectural comme le mastodonte tubulaire et quadricolore du quartier Saint-Merri. Si l’un montre tout, tuyaux et entrailles, l’autre se dérobe à la vue, caché en sous-sol sous la future fontaine Stravinsky, de Tinguely et Niki de Saint Phalle. Fondé par Pierre Boulez, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) est la réalisation d’une folle utopie : un centre de recherche articulant création et technologie et réunissant en un même lieu des musiciens et des scientifiques.

Au centre du programme ManiFeste : l’alliance des sensations plastiques et de l’écoute

Quarante ans après, l’édition anniversaire du festival ManiFeste, lancé en 2012, a placé au centre de son programme une autre quête de symbiose, plus ancienne encore : l’alliance des sensations plastiques et de l’écoute. Son et vision, pour reprendre le titre d’une chanson de David Bowie, rêvant, encore en 1977, de leur association dans sa chambre « bleu électrique ». C’est aussi celui de l’expérience – Sound & Vision (A Liquid Room) – que proposera, le 10 juin, au Théâtre des Amandiers, l’ensemble bruxellois Ictus associé à la chorégraphe Ula Sickle et à Yann Leguay, spécialiste de la matérialité du son. Un concert-installation, avec liberté de circulation pour les spectateurs.

« Expérience totale »

Pour Frank Madlener, le directeur de l’Ircam, qui explique dans notre entretien que « ManiFeste doit s’adresser à un spectateur-visiteur-auditeur », ces correspondances entre les sens peuvent conduire à une « expérience totale ». Avec l’exposition « L’Œil écoute » – titre emprunté à Paul Claudel –, le Centre Pompidou, qui fête également ses 40 ans, explore cette convergence dans l’histoire de l’art du XXe siècle, des Ballets russes à Fluxus. A l’Ircam revient naturellement le temps du présent. En rappelant le moment ­déterminant que fut, en 1972, The Rothko Chapel, partition écrite par Morton Feldman pour quatorze toiles du maître de l’expressionnisme abstrait, que l’on entendra le 3 juin à Beaubourg. « Ecouter la peinture » (après le « peindre la musique » de Paul Klee), c’est aussi ce que fait le compositeur espagnol Alberto Posadas dans Tenebrae ; la lumière du noir, le 2 juin, avec celle de Pierre Soulages à l’esprit.

Difficile de faire des choix parmi les vingt-deux propositions artistiques qu’offre ManiFeste durant un mois, du 1er juin au 1er juillet. Il était toutefois impensable de ne pas s’attarder sur son ouverture cosmique, une création française programmée au Centquatre-Paris, Mockumentary of a Contemporary Saviour.

Grâce à la technologie de l’Ircam, l’explosif chorégraphe belge Wim Vandekeybus a pu enfin assouvir son fantasme de superproduction SF. Dans cette nouvelle odyssée, la spatialisation du son livre l’espace scénique à des déflagrations. Voilà pour le mouvement et le futurisme.

L’établissement de la rue d’Aubervilliers sera aussi hanté par la mémoire et ses fantômes, avec une invitation à entrer dans le secret de Pyramiden, cité minière soviétique bâtie, puis laissée à l’abandon, sur l’île du Spitzberg. Elle est l’héroïne, le 8 juin, du spectacle Campo Santo, conçu par le vidéaste Pierre Nouvel et le musicien Jérôme Combier, qui ont collecté images et sons dans le Grand Nord. Pour que, là encore, installation et concert fassent la paire.