Pour un peu, la Cour des comptes donnerait presque raison à la droite qui, avant l’élection présidentielle, s’alarmait des « bombes à retardement » dont hériterait la future majorité en matière de finances publiques. Elle pensait alors que ce serait elle qui serait aux commandes. Ce sont à présent Emmanuel Macron et son gouvernement qui doivent composer avec l’« héritage » de François Hollande.

Que dit la Cour des comptes dans son rapport sur le budget de l’Etat en 2016 présenté mercredi 31 mai devant la commission des finances du Sénat ?

« L’exercice 2016 se caractérise par l’émergence de facteurs d’accélération durable de la dépense, qui sont susceptibles de compromettre à court et à moyen terme le retour à l’équilibre des comptes. (…) Les incertitudes sur le budget de l’Etat sont renforcées », avertissent les magistrats financiers.

Un signal d’alarme qui préfigure la publication de l’audit des finances publiques demandé à la Cour par le gouvernement et qui devrait être remis au premier ministre le 3 juillet. S’il s’est refusé à en dévoiler le contenu, Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, a toutefois pris soin de rappeler son principal objectif : « Examiner les risques qui pèsent sur les exercices 2017 et 2018. »

« Accommodements critiquables »

Or ils semblent nombreux. « A court terme, l’accélération de la croissance des dépenses fiscales et les reports de charges créent un risque sur l’exécution 2017 », estime la Cour. Et cette augmentation des dépenses fiscales n’est pas due au seul crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), dont le coût devrait s’alourdir de plus de 3 milliards d’euros en 2017 (15,8 milliards, contre 12,6 milliards en 2016) et de près de 5 milliards en 2018 (20,6 milliards). Toutefois, hors CICE et prime pour l’emploi, les dépenses fiscales s’élèvent à plus de 73 milliards d’euros.

La Cour souligne également « des accommodements critiquables » avec la comptabilité budgétaire, en relevant l’augmentation des reports de charges et des mesures tendant à minorer, pour près de 2 milliards d’euros, l’évolution des dépenses. Surtout, elle pointe la hausse des dépenses de personnel (+ 1,6 % en 2016), supérieure à celle des cinq années précédentes cumulées. Or cette hausse devrait se poursuivre du fait, notamment, des effets différés du protocole d’accord sur les carrières conclu fin 2015.

« Occasion manquée »

L’ampleur de la dette (1 621 milliards d’euros fin 2016) expose en outre l’Etat à une remontée des taux d’intérêt. Malgré une détente depuis l’élection présidentielle, des facteurs structurels devraient les orienter à la hausse (remontée des prix du pétrole et de l’inflation, fin de la politique accommodante de la BCE…).

« Si cela reprenait sans accélération de la croissance, l’Etat devrait poursuivre l’effort de redressement de ses comptes dans un environnement beaucoup moins favorable », avertit M. Migaud.

Au demeurant, la Cour qualifie d’« occasion manquée » le budget 2016 de l’Etat. « La réduction du déficit observée en 2016 est peu significative », constate-t-elle, douchant quelque peu les satisfecit exprimés par Bercy, et les besoins de financement de l’Etat se sont dégradés. En apparence, le déficit budgétaire 2016 (69,1 milliards d’euros) est inférieur aux prévisions de la loi de finance initiale (72,3 milliards) et à la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 (70 milliards). Cependant, les magistrats relèvent que, après retraitement des dépenses exceptionnelles et des investissements d’avenir, le déficit ne se réduit plus depuis 2013.

Pour la Cour des comptes, la baisse de la charge de la dette et la forte réduction des prélèvements sur recettes – ces dispositifs budgétaires au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne – « ont été insuffisamment mis[es] à profit pour progresser dans le rétablissement des finances de l’Etat ». Or cette conjonction favorable risque fort de ne pas se reproduire cette année. « Au total, le déficit est toujours trop élevé pour stabiliser la dette : le solde primaire de l’Etat (hors charge de la dette) est toujours déficitaire de 1,2 % du PIB. Dans les conditions de croissance actuelles, il aurait fallu un excédent primaire de 0,7 % du PIB pour stabiliser la dette de l’Etat », précise M. Migaud.

Dans le détail, si les recettes de l’Etat sont restées proches des prévisions, c’est en grande partie grâce à des facteurs exceptionnels (redevances d’utilisation des fréquences hertziennes, bons résultats de l’assureur-crédit Coface, retard pris par l’Union européenne dans le cadre de ses appels de fonds…). En revanche, l’impôt sur les sociétés a affiché un rendement particulièrement décevant – un paradoxe, compte tenu de l’embellie conjoncturelle de 2016, mais qui tient au caractère très « erratique » des rentrées de cet impôt, explique la Cour.

Côté dépenses, l’économie « massive » sur la charge de la dette (3 milliards d’euros) a permis à l’Etat de rester en deçà des autorisations de la loi de finances initiale. « Mais hors charges d’intérêt, les dépenses ont en fait dépassé les autorisations de 1,6 milliard », précise la Cour. Celle-ci s’inquiète en outre des sous-budgétisations croissantes qui affectent non seulement la défense ou l’intérieur, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, mais aussi des ministères civils. Ces dernières ont triplé entre 2013 et 2016. Ces sous-budgétisations, accompagnées d’ouvertures de crédits en cours d’exécution, affaiblissent le rôle du Parlement et les autorisations votées par la loi puisqu’elles sont soumises à d’incessantes rectifications.