Des femmes membres d’une association d’entraide rurale soutenue par Care posent dans une cour du village de Dar Kani. | Michael Zumstein/Agence VU pour Le Monde

L’ONG Care est arrivée au Tchad lors de la grande sécheresse de 1974. Depuis, elle a enchaîné les interventions d’urgence sur toutes les grandes crises qui ont frappé le pays, dont la dernière en date, dans la région du lac Tchad, où environ 130 000 personnes ont été déplacées pour fuir Boko Haram.

Avec 200 salariés et un budget de 12 millions d’euros en 2017, Care fait partie des trois principales ONG internationales au Tchad. Son chef de mission sur place, le Canadien Pierre Valiquette, décrit un pays qui ne parvient pas à sortir de l’urgence humanitaire et met en garde contre un déplacement de l’assistance vers le lac Tchad au détriment des autres zones, où les besoins humanitaires demeurent très importants.

Présentation de notre série : « Tchad : la fin du mirage »

La région du lac Tchad capte l’attention internationale, mais ce n’est pas la seule crise humanitaire à laquelle le pays doit faire face…

Pierre Valiquette La crise du lac Tchad se superpose à un contexte humanitaire déjà très complexe. Le Tchad est l’un des pays d’Afrique qui accueillent le plus de réfugiés [plus de 500 000]. Dans le sud, ceux de Centrafrique sont là depuis plus de dix ans. Dans l’est, la survie de ceux qui viennent du Darfour [au Soudan voisin] dépend presque totalement des distributions alimentaires. Le pays continue d’être marqué par une très grande pauvreté. Quelque 4,7 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire en 2017, selon les chiffres de l’ONU.

Les bailleurs de fonds se détournent des autres crises. Y voyez-vous un risque ?

Il est compréhensible que la crise du lac Tchad, liée au terrorisme, capte l’attention des bailleurs de fonds occidentaux, car ce sujet est de première importance pour eux. Mais il est dangereux de créer un vide dans des régions qui vivent des crises humanitaires chroniques dues à la sécheresse et à la malnutrition, comme le Wadi Fira. Tout ce que nous avons construit jusqu’à présent pourrait être anéanti.

Les ONG suivent les bailleurs de fonds car elles en dépendent financièrement. Elles sont donc en train de se repositionner près du lac, car c’est là que l’argent arrive. Il y a suffisamment de besoins pour que chacun trouve sa place, mais un afflux de nouveaux acteurs entraîne néanmoins des risques de mauvaise coordination.

Lors de la conférence sur la crise du lac Tchad organisée par l’ONU en février, les bailleurs de fonds ont insisté sur la nécessité de dépasser l’urgence humanitaire pour donner des perspectives de développement à cette région. Concrètement, cet appel a-t-il des retombées ?

Le Tchad vit au rythme des crises humanitaires depuis plusieurs décennies. C’est devenu structurel, mais nous continuons d’avoir des réponses d’urgence. Ce n’est qu’un pansement posé sur une plaie, mais basculer dans une approche de développement suppose de surmonter des obstacles importants : les capacités de l’Etat tchadien à investir dans des politiques de plus long terme sont faibles, les règles d’intervention des bailleurs de fonds doivent être modifiées…

Il faut faire tomber le mur qui existe entre le financement d’actions humanitaires de très courte durée, un an maximum, et des interventions plus longues qui s’attaquent à la racine de ces crises. On ne peut plus arriver comme des cow-boys, sauver des vies et repartir. Je suis cependant optimiste : ce mur est en train de tomber et de nouvelles approches permettent de mieux articuler ces deux horizons. L’Union européenne, qui est l’un des principaux bailleurs de fonds au Tchad, fait des efforts importants dans ce sens.

Des exemples ?

En 2016, nous avons construit des abris pour les déplacés et organisé des opérations de transfert de cash pour les ménages les plus vulnérables afin qu’ils puissent affronter la période de soudure, mais nous avons aussi lancé des programmes agricoles en introduisant des cultures maraîchères là où elles étaient quasiment absentes. L’objectif est de créer des activités de subsistance et de diversifier l’alimentation afin de répondre aux problèmes d’insécurité alimentaire et de malnutrition. Des semences plus résistances à la sécheresse ont été introduites. Et 85 groupements maraîchers, regroupant 1 950 personnes dont la moitié sont des femmes, bénéficient d’une formation.

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Le Monde Afrique propose cinq reportages pour prendre le pouls d’un pays en quasi-faillite.

L’insécurité limite l’accès des ONG internationales sur le terrain, tout en renchérissant les coûts d’intervention. N’est-il pas temps de faire plus de place aux acteurs locaux ?

C’est l’un de nos objectifs. Care est l’une des ONG qui emploient le moins d’expatriés [5 % environ des effectifs]. Malheureusement, les ONG nationales manquent de moyens et de compétences, en particulier dans le domaine de la gestion, pour pouvoir intervenir seules. Cependant, la situation évolue. Le Programme alimentaire mondial [PAM] essaie de s’appuyer sur des acteurs locaux pour assurer la distribution des vivres. Quant à la coopération suisse, qui s’est retirée physiquement du Tchad, elle a aidé certains de ses experts locaux à créer leur propre ONG et leur confie maintenant des projets.