Du temps de sa gloire comme après sa déchéance, l’ancien dictateur panaméen Manuel Noriega a maintenu des liens étroits avec la France. Mort à 83 ans des suites d’une tumeur cérébrale dans la nuit du lundi 29 au mardi 30 mai, il a été décoré par le gouvernement français et a investi dans l’hexagone une partie des gains de ses activités criminelles avant d’y être condamné pour blanchiment d’argent sale et emprisonné.

Le 22 janvier 1987, lorsqu’il est fait commandeur de la Légion d’honneur, Manuel Noriega est l’homme fort du Panama. Celui qu’on surnomme « Face d’ananas » en raison de son visage grêlé n’est pas élu mais commande les forces de défense de la petite république centraméricaine qu’il contrôle d’une main de fer. En France, François Mitterrand est président et la décoration lui est remise sur recommandation de Jean-Bernard Raimond, le ministre des affaires étrangères du gouvernement de Jacques Chirac.

Recruté par la CIA, l’agence de renseignement américaine, à la fin des années 1960, Manuel Noriega a pourtant noué des relations d’affaires avec le cartel de Medellin du célèbre narcotrafiquant Pablo Escobar dès 1982. Officiellement attribuée dans le cadre des « relations diplomatiques », la Légion d’honneur n’a jamais été retirée au dictateur panaméen qui a été renversé et capturé en décembre 1989 par un corps expéditionnaire de 24 000 soldats envoyés par le président américain George Bush père.

L’amitié de François Mitterrand

Interrogé dans les années 1990 dans sa prison de Miami par le juge d’instruction français Patrick Fiévet, Manuel Noriega s’est vanté d’avoir toujours entretenu « d’excellentes relations avec les plus hautes autorités françaises ». En novembre 1995, il a affirmé avoir rencontré le chef d’état-major de l’armée française, le général Lacaze, et s’être rendu en France pour y acheter du matériel militaire, des avions et des armes.

A l’appui de ses dires, il a présenté au juge des photos le montrant en compagnie de François Mitterrand et de Jeannou Lacaze. L’ancien dictateur avait aussi noué d’étroites relations avec Robert Vigouroux, alors maire de Marseille. Selon le dossier d’instruction français, Manuel Noriega a soutenu que François Mitterrand lui avait offert l’asile, à lui et à sa famille, après que les Américains l’eurent lâché. L’appartenance du Parti révolutionnaire démocratique (PRD), créé par les militaires panaméens, à l’Internationale socialiste aurait favorisé ces relations, d’après plusieurs opposants à Manuel Noriega.

« Fallait-il le déporter en France ? La justice doit sans doute passer, mais politiquement est-ce bien raisonnable ? », s’interrogeait en avril 2010 Antoine Blanca, qui avait été nommé ambassadeur itinérant pour les pays d’Amérique latine par François Mitterrand. « Il vient de passer vingt ans dans une prison fédérale américaine et n’a jamais raconté tout ce qu’il savait », ajoutait ce fin connaisseur de l’Amérique latine.

Le refus du statut de prisonnier de guerre

Condamné en 1992 à quarante ans de prison à Miami pour trafic de drogue, Manuel Noriega a vu sa peine ramenée à trente ans puis à dix-sept ans pour bonne conduite. A la fin de sa peine, la France et le Panama ont réclamé son extradition. En 1999, l’ancien homme fort avait été condamné par contumace à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris pour blanchiment d’argent de la drogue. La justice panaméenne l’avait aussi condamné à de lourdes peines de prison pour plusieurs assassinats d’opposants.

Renseignée en 1989 par les services américains, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) avait alerté la justice à propos de comptes bancaires ouverts en France par Manuel Noriega, sa femme Felicidad et ses filles à la BNP, au Crédit lyonnais et au CIC. La famille Noriega avait également acquis trois appartements de standing dans les VIIe et XVe arrondissements de Paris. La justice a estimé à 25 millions de dollars le recyclage dans plusieurs pays d’argent venant du narcotrafic. Les avoirs introduits en France par le clan Noriega ont été évalués à 50 millions de francs (7,6 millions d’euros). Les avocats français de Manuel Noriega, Me Olivier Metzner et Yves Leberquier, ont tenté sans succès de s’opposer à son extradition et à sa détention à la prison de la Santé à Paris. Selon eux, la France a violé les conventions de Genève en lui refusant le statut de prisonnier de guerre.

Ce statut lui avait été reconnu à Miami, où il était détenu dans une vaste cellule avec télévision et téléphone. Rejugé à Paris, Manuel Noriega a été condamné en juillet 2010 à sept ans de prison. Il avait soutenu à la barre que l’argent investi en France ne provenait pas du trafic de drogue, mais d’héritages et des rémunérations versées par la CIA. En décembre 2011, la France a accepté la demande d’extradition du Panama et renvoyé l’ancien dictateur dans son pays.