La première ministre, Theresa May, le 29 mai. | Stefan Rousseau / AP

Alors que la cheffe de file des conservateurs et première ministre, Theresa May, a décidé depuis le début de la campagne électorale, le 3 mai, de ne participer à aucun débat, le chef du Labour, Jeremy Corbyn, a, lui, laissé plané le suspense jusqu’au bout. Mais après avoir longuement hésité, il participera finalement, mercredi 31 mai, au débat proposé par la BBC.

De quoi permettre aux électeurs britanniques d’affiner leur choix en vue du scrutin du 8 juin qui doit renouveler les 650 sièges de la Chambre des communes.

  • Pourquoi des élections anticipées ?

Le projet de Mme May, qui a été validé par la chambre basse en avril, doit constituer une majorité parlementaire forte, alors que le parti conservateur ne détient actuellement que 330 des 650 sièges des Communes. La première ministre veut sortir renforcée du scrutin en vue des négociations de sortie de l’Union européenne, qui doivent s’ouvrir le 19 juin. Elle estime ainsi qu’il lui faut un leadership « fort et stable » pour décrocher « le meilleur accord pour la Grande-Bretagne ».

Theresa May a par ailleurs affirmé, le 2 mai, dans une interview à la BBC, qu’elle avait l’intention de mener son mandat à terme (les députés sont élus pour 5 ans), si elle conservait son poste après les élections. De cette manière, la cheffe du gouvernement cherche à éviter des élections législatives initialement prévues en 2020 pour les repousser à 2022 ; d’ici trois ans, le pays sera en effet en plein cœur de la procédure de Brexit et pourrait se trouver dans une situation économique plus complexe.

« Elle a bien choisi son moment, estime Scott Corfe, le directeur du Centre for Economics and Business Research, une société de consultants, interrogé par Le Monde. Il y a de fortes chances que les choses empirent désormais. »

Autre raison d’organiser des élections anticipées : une vingtaine de députés conservateurs sont concernés par des risques de poursuites judiciaires en raison de leurs dépenses de campagne pendant les élections de 2015. Si leur élection venait à être invalidée, Mme May perdrait une grande avance sur les travaillistes au Parlement. Organiser des élections anticipées permettrait à Mme May, qui a soutenu tous les députés concernés en amont du scrutin estival, d’esquiver les affaires des élections de 2015. Mais cette menace s’est atténuée depuis que, le 10 mai, le procureur de la Couronne a décidé de ne pas poursuivre dans quatorze des quinze dossiers qui lui avaient été transmis.

  • Les conservateurs peuvent-ils gagner ?

Alors que les conservateurs abordaient ce scrutin comme une simple formalité, persuadés d’humilier le Labour, les dernières études montrent que la dynamique a changé de camp. Alors qu’il y a encore quelques semaines, plus de 20 points séparaient les deux partis rivaux, les dernières études situent l’avance des conservateurs entre 6 et 14 points. Selon un sondage de l’institut YouGov, paru, vendredi 26 mai, dans le Times, les conservateurs seraient ainsi à 43 % des intentions de vote contre 38 % pour les travaillistes.

La chute de Mme May dans les sondages s’explique en partie par l’impopularité de sa promesse d’imposer les successions pour financer la dépendance des personnes âgées, mesure sur laquelle elle a dû partiellement reculer.

De son côté, M. Corbyn voit sa cote grimper depuis qu’il est parti en campagne en défendant la fin de l’austérité, la nationalisation des chemins de fer, l’investissement dans l’école et les hôpitaux et l’interdiction des contrats à zéro heure (sans temps de travail ni salaire garantis).

En attirant à la fois des électeurs de gauche démobilisés par le blairisme et des jeunes (73 % des 18-24 ans votent Labour), Jeremy Corbyn est finalement crédité d’un score meilleur que celui réalisé par Ed Miliband en 2015 (30,45 %) ou Gordon Brown en 2010 (29 %).

Après l’attentat de Manchester, le leader travailliste a, par ailleurs, tenté de fragiliser son adversaire Theresa May en soulignant, lors d’un discours à Londres vendredi, qu’il était de la « responsabilité » des gouvernements de minimiser les risques d’attentats en donnant à la police les moyens nécessaires. Il a lié le drame aux coupes dans le budget de la police et aux interventions militaires en Irak, Afghanistan, Syrie et Libye. La veille, la vice-présidente du parti europhobe UKIP, Suzanne Evans, avait avancé le même argument.

Le leader travailliste, Jeremy Corbyn, le 31 mai. | Lauren Hurley / AP

Malgré ces attaques, la première ministre tente d’incarner aux yeux des Britanniques un rempart contre le terrorisme. Elle a d’ailleurs choisi de placer l’attentat de Manchester au cœur de sa campagne électorale. Mais cette stratégie pourrait se retourner contre elle. L’enquête sur l’attentat a en effet mis en lumière les failles des services de renseignement et de sécurité. Selon des témoignages, plusieurs membres de l’entourage de Salman Abedi, le kamikaze âgé de 22 ans, avaient signalé en vain sa radicalisation.

Autre mauvais signe pour Mme May : le duel à distance organisé, lundi 29 mai, en direct sur Sky News et Channel Four. M. Corbyn est apparu en grande forme tandis que la première ministre a dû faire face aux questions et commentaires d’interviewers intransigeants. Le journaliste Jeremy Paxman l’a notamment qualifié de « vantarde qui détale au premier coup de feu ». Quant à Rod Liddle, pourtant chroniqueur à l’hebdomadaire conservateur The Spectator, il a été plus loin en osant affirmer que « Theresa May a la chaleur, l’humour, l’agilité oratoire et le charme d’un congélateur [de la marque] Indesit mal branché (…) rempli de crêpes croustillantes de chez Findus en état de décomposition ».

  • Le Brexit, enjeu du scrutin ?

C’est pour obtenir une majorité forte et renforcer son leadership en vue de l’ouverture des négociations avec l’Union européenne que la première ministre a souhaité organiser des élections législatives anticipées trois ans avant la date prévue. Résultat, depuis le début de la campagne, journalistes et éditorialistes décortiquent ses positions sur le Brexit.

Le sujet a notamment été au cœur du débat de lundi soir. Mme May, qui a fait campagne contre le Brexit avant le référendum du 23 juin 2016, a répété que, selon elle, « pas d’accord [avec l’UE] est meilleur qu’un mauvais accord » pour le Royaume-Uni. Elle a aussi promis d’être « aussi coriace qu’il le faudra » lors des négociations.

Jeremy Corbyn, qui était également contre le Brexit, a, lui, assuré qu’il ferait « en sorte » qu’il y ait un accord avec l’UE. Acceptant le « verdict du peuple », il s’est dit en faveur d’une « immigration contrôlée ». Mais il a tenu à rappeler « la contribution énorme des travailleurs immigrés à notre système de santé ou de transports ». M. Corbyn sait qu’il marche sur des œufs en évoquant le sujet du Brexit, c’est pourquoi il aborde la question le moins possible pour ne pas bousculer ses électeurs profondément divisés sur le sujet.

Le chef des travaillistes a plusieurs fois plaidé pour une sortie de l’UE qui préserve les emplois et l’industrie, et améliore l’économie du pays. Mais sa position sur le sujet est devenue moins claire lorsqu’il a refusé de répondre à cinq reprises à la question de la BBC lui demandant si le pays sortirait de l’UE s’il était premier ministre.