La mairie de Nice a-t-elle pris le risque de provoquer une nouvelle polémique sur le modèle de l’affaire du burkini qui avait enflammé les esprits à l’été 2016 ? Par un courrier du 12 mai, Christian Estrosi, alors premier adjoint redevenu maire de la ville le 15 mai, a refusé à une société distribuant des produits d’assurance et d’épargne estampillés « finance islamique » de mettre sur son agence de Nice une enseigne avec le nom de l’établissement « Noorassur.com - Finance islamique ». L’édile justifie cette interdiction en affirmant que cette enseigne « fait peser un risque fort de troubles à l’ordre public ».

M. Estrosi va plus loin et évoque la proximité avec la Promenade des Anglais et l’attentat du 14 juillet. Il assure que le risque est de mettre « en danger tant le personnel que les clients de l’établissement confrontés à des rassemblements antagonistes qui ne manqueront pas de se produire dès connaissance de telles enseignes à Nice ». C’est un peu comme si on interdisait à une boucherie de s’afficher halal au nom de l’ordre public en légitimant les éventuelles manifestations islamophobes qui surgiraient.

Une entrave à la liberté d’entreprendre

La finance islamique est un compartiment de la finance éthique, légal et même encouragé par le ministère des finances depuis 2008. Au point que l’université de Paris Dauphine a créé un master « Principes et pratiques de la finance islamique ». Depuis l’ouverture de sa première agence à Chelles (Seine-et-Marne) en 2015, Noorassur n’a jamais essuyé un tel refus de la part d’une municipalité, pas plus à Nantes, qu’à Bordeaux ou Annemasse (Haute-Savoie).

Offusquée par cette décision, Sonia Mariji, la fondatrice de Noorassur, a saisi mercredi 31 mai le tribunal administratif de Nice d’un référé suspension. « La finance islamique n’est pas incompatible avec la République, je suis un fruit de la République », proclame cette Française de 56 ans, musulmane, chef d’entreprise, non voilée.

Pour Patrice Spinosi, l’avocat de Mme Mariji, la lettre du maire de Nice relève de raisonnements dangereux, d’abord en « véhiculant l’idée selon laquelle la finance islamique serait liée au terrorisme islamiste, alors que l’éthique de cette activité se situe aux antipodes de ce qui fonde l’idéologie mortifère du terrorisme ». Selon le site internet du ministère de l’économie, les produits financiers dits islamiques respectent le Coran, à savoir « l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites [alcool, tabac, paris sur les jeux, etc.], ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits. »

Dans sa requête au tribunal, M. Spinosi se réfère à l’ordonnance du Conseil d’Etat du 26 août sur l’affaire des arrêtés anti-burkini. Ces décisions reposaient déjà sur cette logique d’interdire l’exercice d’une liberté plutôt que les réactions violentes et islamophobes qui pourraient apparaître. Ici, c’est la liberté d’entreprendre, protégée par la Constitution, qui est entravée. Il y a donc une « atteinte grave et immédiate aux intérêts » de la requérante, puisqu’elle ne peut ouvrir son agence.

Verdict dans les prochaines semaines

Selon M. Spinosi, qui était intervenu au nom de la Ligue des droits de l’homme dans les recours contre les arrêtés anti-burkini, la décision de M. Estrosi constitue également une « atteinte grave et immédiate à des intérêts publics en raison de ses effets et motifs radicalement discriminatoires ». De fait, « l’interdiction litigieuse recèle nécessairement une discrimination fondée sur la religion, et même un véritable opprobre envers toute activité qui tendrait à s’inscrire dans le respect des principes de l’islam », peut-on lire dans le mémoire déposé devant la juridiction administrative.

L’avocat rappelle un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2014, concernant déjà la France, selon lequel « le rôle de l’Etat (…) n’est pas de supprimer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent ».

Inutile de préciser par ailleurs que les placements estampillés finance islamique ne sont pas réservés à une clientèle musulmane, même si commercialement, c’est bien ce marché que vise Noorassur. Des franchisés devraient ouvrir de nouvelles agences dans les mois à venir à Creil (Oise), Limoges ou Tours.

Un développement commercial classique, même si Mme Mariji, qui avait travaillé dix années comme conseiller financier dans un groupe d’assurance vie avant de lancer sa propre affaire, refuse pour le moment de donner des informations sur son chiffre d’affaires. Le tribunal de Nice devrait se prononcer sur ce dossier dans les prochaines semaines.