Avant que Donald Trump n’apparaisse dans le Rose Garden de la Maison Blanche, jeudi après-midi 1er juin, la bonne humeur manifestée par son conseiller stratégique, Stephen Bannon, et l’absence de sa fille aînée, Ivanka, ne laissaient guère de doutes sur la décision sur le point d’être annoncée.

« A partir d’aujourd’hui, les Etats-Unis cesseront toute mise en œuvre de l’accord de Paris (…) et du fardeau économique et financier qu’il impose à notre pays », a déclaré le président des Etats-Unis. Cette sortie était un objectif de campagne défendu par M. Bannon, alors qu’Ivanka Trump s’y opposait.

Tout en jugeant l’accord sur le réchauffement climatique – conclu à la COP21, en décembre 2015, à Paris – inefficace en l’état pour protéger l’environnement et néfaste aux intérêts américains, le président a détaillé les raisons justifiant sa décision prise après des semaines de tergiversations, un délai mis à profit par deux camps irréconciliables pour tenter de le faire fléchir.

Le président a précisé être prêt à ouvrir de nouvelles négociations « pour revenir dans l’accord de Paris », ou pour aboutir « à un nouveau traité », dans les deux cas selon des termes qui soient « justes pour les Etats-Unis, leurs entreprises, leurs salariés, leur population, leurs contribuables ».

Le legs d’Obama

Donald Trump a avancé sans trop y croire l’argument d’une renégociation car il le sait sans doute : cette piste est impraticable. « Les négociations se sont closes fin 2015. Qui plus est, l’accord est entré en vigueur en novembre 2016 », relève Manuel Pulgar-Vidal, président de la COP20 de Lima, qui précéda celle de Paris.

« C’est fantaisiste d’envisager de renégocier, confirme Laurence Tubiana, l’ancienne négociatrice en chef de la France, témoin privilégié des âpres discussions entre les 195 Etats-membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour dégager un consensus. Trump n’a visiblement pas préparé un argumentaire solide pour son discours. »

L’accord de Paris ne peut être renégocié sur une base unilatérale, a rappelé le secrétariat de la Convention-cadre, avant que la chancelière allemande Angela Merkel, le président français Emmanuel Macron et le premier ministre italien Paolo Gentiloni n’emboîtent le pas, s’estimant, dans une déclaration commune, « fermement convaincus que l’accord ne peut pas être renégocié ».

M. Trump n’a cessé depuis son arrivée à la Maison Blanche de tailler en pièce le legs de son prédécesseur, Barack Obama. Jeudi, il a décrit son pays comme la dupe de puissances émergentes, au premier rang desquelles l’Inde et la Chine, qui seraient selon lui autorisées à continuer de polluer, tout en recevant « des milliards et des milliards et des milliards de dollars ».

« L’accord de Paris briserait nos travailleurs »

Il a par ailleurs replacé la problématique du climat dans une vision pessimiste des relations internationales. Renouant avec la rhétorique de sa campagne et avec les accents sombres de son discours d’investiture, le 20 janvier, lorsqu’il avait dénoncé le « carnage » dont l’Amérique aurait été la proie, le président a accusé « les nations qui nous demandent de rester dans l’accord » d’être les mêmes pays « qui nous ont coûté des milliards de dollars à cause de pratiques commerciales impitoyables ».

« L’accord de Paris compromettrait notre économie, briserait nos travailleurs, affaiblirait notre souveraineté, imposerait des risques juridiques inacceptables et nous mettrait en situation de faiblesse permanente par rapport aux autres pays du monde, a-t-il assuré. Il est temps de placer Youngstown, dans l’Ohio, Detroit, dans le Michigan, et Pittsburgh, en Pennsylvanie, et beaucoup d’autres endroits dans notre grand pays, avant Paris, en France. Il est temps de rendre l’Amérique grande à nouveau. »

Stephen Bannon, conseiller stratégique du présdient Trump, quitte la roseraie de la Maison Blanche, le 1er juin. | JOSHUA ROBERTS / REUTERS

La victoire de l’aile nationaliste de la Maison Blanche, incarnée par M. Bannon, alliée jeudi au courant productiviste que représente la Chambre de commerce, et aux climatosceptiques des think tanks conservateurs et libertariens, opposés à tout ce qui peut renforcer l’Etat fédéral, a suscité la stupeur des partisans de l’accord.

Alors que Jerry Brown, le gouverneur de Californie – un Etat en pointe contre les émissions de gaz à effet de serre –, en appelait immédiatement à « la résistance », Elon Musk, le charismatique dirigeant de Tesla et de SpaceX annonçait, comme il s’y était engagé, sa démission du conseil économique consultatif placé sous l’égide de la Maison Blanche. Le maire démocrate de Pittsburgh, Bill Peduto, assurait pour sa part que sa ville prendrait sa part dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Pékin dit ne pas freiner ses ambitions climatiques

L’onde de choc du retrait pourrait s’amplifier dans les jours à venir. Elle risque de laisser des traces également dans la bulle de la diplomatie climatique, même si, « en plus de vingt ans de négociations, les délégués ont pris conscience que de tels accidents politiques pouvaient se produire », minimise Manuel Pulgar-Vidal. L’ancien ministre péruvien de l’écologie, qui collabore aujourd’hui au WWF, garde en mémoire le précédent de Kyoto, lorsque Washington avait posé ses conditions à l’adoption du protocole engageant les pays développés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Signé par Al Gore puis jugé « injuste et inefficace » par George W. Bush, le protocole de Kyoto ne sera pas ratifié par les Etats-Unis, qui s’en retireront, imités plus tard par le Canada, le Japon et la Russie.

« Comme pour Kyoto, les Etats-Unis ont posé des conditions à l’accord de Paris, exigeant notamment que les objectifs de réduction d’émissions ne soient pas contraignants. Leurs demandes ont été satisfaites et pourtant, une fois encore, ils se retirent », observe Stefan Aykut, sociologue et coauteur de Gouverner le climat (Presses de Sciences Po, 2015). Avec quel effet d’entraînement ? La Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre devant les Etats-Unis, répète à l’envi qu’elle ne freinera pas ses ambitions climatiques.

D’autres gros pollueurs comme l’Inde ou l’Indonésie pourraient en revanche revoir leur copie s’ils n’obtiennent pas le soutien financier attendu des pays du Nord. Car l’une des premières questions posées par le retrait américain est celle du financement des politiques de lutte contre le réchauffement.

Une sortie effective en novembre 2020

Donald Trump l’a bien compris, annonçant le 1er juin qu’il mettait fin à la fois à l’engagement de réduction de 26 % à 28 % des émissions des Etats-Unis d’ici à 2025 et au financement américain du fonds vert pour le climat. Washington, qui avait accepté d’abonder 3 milliards des 10 milliards de dollars de la mise initiale, n’aura versé, sous l’administration Obama, qu’un milliard à l’institution de soutien aux pays du Sud.

La défection américaine va fragiliser aussi le fonctionnement de l’organe de négociation que constitue la CCNUCC. En 2016, la contribution financière de Washington a représenté près du quart du budget de l’institution. Une autre inconnue réside dans le rôle que jouera dorénavant la délégation américaine lors des prochaines sessions de travail puisque, comme le stipule l’article 28 de l’accord de Paris, la sortie des Etats-Unis ne sera effective qu’en novembre 2020.

Le prompteur du président des Etats-Unis pendant son discours, dans les jardins de la Maison Blanche à Washington, le 1er juin. | JOSHUA ROBERTS / REUTERS

« A quoi bon aller à la COP si vous sortez du cadre des négociations ? », s’interroge Laurence Tubiana. « Après leur retrait du protocole de Kyoto, les Américains avaient bénéficié du statut d’observateurs », se souvient la diplomate qui a rejoint la European Climate Foundation. Que dire surtout de l’objectif de demeurer sous le seuil des 2°C de réchauffement, par rapport à l’ère préindustrielle, clef de voûte de l’accord ?

« Jusqu’à présent, la limite des 2°C était très difficile à respecter. Sans les Etats-Unis, elle devient impossible à atteindre », avance Stefan Aykut, même si l’effet de ce retrait demeurera relativement limité. Selon Climate Action Tracker, un consortium d’organisations scientifiques qui calcule les effets des politiques climatiques sur le réchauffement à venir, « les émissions supplémentaires des Etats-Unis pourraient ajouter 0,1°C à 0,2°C de réchauffement » avec la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris.

Face à la « faute pour l’avenir de notre planète » que représente la décision de Donald Trump, le président français promet de ne pas rester inactif. Lors de son allocution à l’Elysée, jeudi soir, dans un décor moins bucolique que celui de Rose Garden, Emmanuel Macron a annoncé un rendez-vous, samedi 3 juin à Paris, avec le premier ministre indien, Narendra Modi, et des « initiatives fortes » dans les jours à venir. Il a lancé aussi un appel aux chercheurs outre-atlantique : « Venez travailler ici, avec nous, à trouver des solutions pour le climat. »