Tony Yoka commence sa carrière professionnelle vendredi 2 juin. | YURI CORTEZ / AFP

La boxe en France est-elle en train de renaître de ses cendres ? C’est en tout cas le pari de Canal+ qui a misé sur le champion olympique Tony Yoka. Le poids-lourds, titré aux Jeux de Rio, débute vendredi 2 juin sa carrière professionnelle qui doit le mener en moins de quatre ans, selon lui, au titre mondial.

« La conquête », comme elle est scénarisée par la chaîne cryptée, débute piano piano par un Américain champion de Virginie-Occidentale, plus aguerri au MMA qu’au noble art. En effet, Travis Clark, ancien ouvrier sidérurgique, qui n’a de « terror » que le surnom, n’a disputé à 38 ans que douze combats. A sa décharge, il les a tous remportés dont huit avant la limite.

Un obstacle que devrait franchir allégrement, mais avec prudence aussi, Tony Yoka, qui s’est exilé aux Etats-Unis pour se concentrer sur la boxe et progresser sous les ordres du très renommé coach Virgil Hunter.

Le Monde a rencontré le boxeur de Chanteloup-les-Vignes lors d’une journée média organisée sous le chapiteau provisoire qui accueille l’équipe de France de boxe à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Malgré la chaleur étouffante, Yoka a enchaîné les exercices physiques avant de se confronter aux questions.

Ce départ aux Etats-Unis est-il le signe d’une exigence supérieure dans votre vie de boxeur ?

J’ai toujours eu un niveau d’exigence très élevé. C’est pour ça qu’après les JO j’ai voulu couper et profiter de mon titre. J’ai décidé de repartir en pleine bourre aux Etats-Unis. À Paris, il y a beaucoup de sollicitations et de tentations. J’ai profité du gros engouement qu’il y a eu autour des boxeurs après Rio. J’ai fait les NRJ Music Awards, le jury Miss France… C’est bien de faire des plateaux télé mais il ne faut pas oublier que l’entraînement est le plus important. En Californie, pendant trois mois, je n’ai rien fait d’autre que la boxe. Je me suis focalisé sur ma préparation.

Vous habitez dans un immeuble où il n’y a que des boxeurs. Vous vous entraînez avec des champions du monde. Vivre à 100 % boxe est-il primordial dans votre nouvelle carrière pro ?

Quand tu t’entraînes aux côtés de mecs comme Andre Ward (poids super-moyens et poids mi-lourds) et Amir Khan (poids super-légers) qui sont plusieurs fois champions du monde, forcément tu as envie de te greffer à eux et de prendre exemple. Il fallait se concentrer uniquement sur l’entraînement et ma boxe. Je ne regarde presque pas mes téléphones. Ma famille m’en veut (sourire). Je passe chez les pros et je sais que je suis très attendu.

Là-bas, vous êtes redevenu anonyme. Quel effet cela fait-il ?

Ça m’a fait bizarre car en France j’ai cette pseudo-célébrité depuis les JO. Là-bas, je peux faire mes courses, marcher dans la rue, aller au ciné, il n’y a pas de soucis. La différence m’a sauté aux yeux dès que j’ai mis les pieds dans l’avion du retour en France avec les hôtesses de l’air et les stewards. J’ai pris plus de photos en trois heures à Paris qu’en trois mois aux Etats-Unis ! Ça fait plaisir car les gens n’aiment pas que le côté sportif mais apprécient ma relation avec Estelle [Estelle Mossely, sa compagne également championne olympique] et toute l’histoire en général.

Vous n’avez pas peur d’annoncer vos objectifs. Vous avez déclaré avoir Anthony Joshua, champion du monde des poids lourds, « dans la ligne de mire ». Cette ambition décomplexée vous sert-elle ?

Avant Rio, j’ai été champion du monde amateur et j’ai dit que je partais aux Jeux pour la médaille d’or. On m’a dit de faire attention à ce genre de déclaration. J’ai besoin de communiquer. J’ai envie que l’on sache ce que je fais et pourquoi je le fais. Je me mets peut-être plus de pression mais c’est de la bonne pression qui me nourrit.

J’ai déclaré que Joshua était dans ma ligne de mire quelques semaines avant son combat très médiatique contre Vladimir Klitschko [27 avril 2017]. C’est passé inaperçu et maintenant qu’il a battu l’Ukrainien tout le monde reprend cette phrase. On commence à dire : « Qu’il gagne déjà ses premiers combats en pro, bla-bla-bla… »

Mais si je ne dis pas que Joshua est mon objectif, qu’est-ce que vous voulez que je dise ? Que j’ai envie d’être numéro deux ? Non, je veux être le numéro un et donc je veux le boxer. C’est normal lorsque l’on a de grosses ambitions.

En attendant Joshua, que dire de votre premier adversaire, Travis Clark ?

Je dispute mon premier combat pro et je suis obligé de partir du bas du classement et de rencontrer des adversaires de ce niveau. Mais j’ai insisté pour ne pas prendre un boxeur avec un palmarès négatif. Il a douze victoires en douze combats, huit KO ; il a de l’expérience.

Vous avez choisi les Etats-Unis pour vous entraîner sous les ordres de Virgil Hunter. Parlez-nous de sa méthode.

Il m’avait sollicité avant les JO. J’aime bien sa philosophie de boxe, qui est identique à la mienne et à celle de mon ancien entraîneur en amateur, le Cubain Luis Mariano. C’est une boxe technique, où la défense prime : toucher sans se faire toucher. Virgil met en pratique cela chez les pros. Avec lui, j’apprends beaucoup, notamment de nouveaux moyens défensifs, et à utiliser mon jab (direct du bras avant) différemment. Je suis impatient de voir les résultats lors d’un combat.

Avez-vous envie d’être connu outre-Atlantique, pays de la boxe par excellence ?

Bien sûr, je vais m’exporter. Sur les quatre combats annuels que je prévois, un se déroulera aux Etats-Unis, à New York ou à Las Vegas. J’ai envie d’être international. Je suis en haut de la boxe française, je veux la même chose au niveau mondial.

Le sport américain est réputé pour son état d’esprit. Sentez-vous une différence dans l’approche mentale ?

En France, tu dois faire attention à ce que tu dis, il faut être humble. Même si moi je n’ai jamais caché mes ambitions, j’y vais sur la pointe des pieds car sinon c’est vite pris pour de la prétention. C’est dommage car si je pars trois mois loin de ma famille, si j’en prends plein la gueule à l’entraînement, ce n’est pas pour dire : « Ouais, je veux faire un beau combat. » Non, je veux gagner, je veux mettre mon adversaire KO et puis c’est tout.

Aux Etats-Unis, c’est tout le contraire. J’ai fait quelques interviews à New York, rien qu’à ce petit niveau, c’est différent. Il faut t’affirmer, dire que tu veux être le numéro un. Si tu dis un truc du genre « je veux donner le meilleur de moi-même », ils ne comprennent même pas.

Et si l’équipe de France vous rappelle, y retournerez-vous ?

Pour quoi faire ? La boxe est un milieu associatif en France. Tu t’entraînes en même temps que des mecs qui font de la boxe loisir ou éducative. Ton coach, c’est aussi ton préparateur physique, ton kiné et ton diététicien. J’avais prévenu Souley [Souleymane Cissokho, médaillé de bronze des poids welters à Rio] avant qu’il me rejoigne à San Francisco pour deux semaines : il ne me croyait pas… En France, nous avons de très bons boxeurs, de très bons coachs mais on ne peut pas rivaliser.

Aux Etats-Unis, quelqu’un est payé pour s’occuper juste de mes mains, c’est son travail. Il me fait mes bandages, m’essuie la tête et me met la vaseline. J’ai un coach, un coach assistant, un préparateur physique, un cuisinier…

Combien ce dispositif vous coûte-t-il ?

Avant de partir, je me suis dit que j’étais bien. J’ai signé un contrat en or avec Canal [près de 1,5 million d’euros par an], je suis tranquille. Mais entre le loyer à San Francisco où tu n’as rien en dessous de 3 000 euros, le coût de mon staff que j’estime à 12 000 euros mensuels, ma maison en France et mes crédits, je dépense beaucoup sans rien faire d’extraordinaire à part vivre et m’entraîner. Alors imagine les boxeurs qui prennent 6 000 euros par combat, ils ne peuvent pas se le permettre.

Vendredi 2 juin, vous avez convié certains de vos amis de la Team Solide (l’équipe de France de boxe à Rio) à boxer lors de cette soirée dont vous êtes la tête d’affiche et que vous coorganisez avec votre promoteur. Est-ce important de conserver ce lien ?

Je ne suis pas un crevard. Je sais qu’il y a beaucoup de lumière sur moi. En gros en France, quand il y a le mot boxe, il y a Tony. Je n’ai pas envie de garder tout ça pour moi. J’ai envie de le partager. Ce 2 juin, d’autres vont boxer car c’est moi qui choisis les combattants… J’ai envie de relever la boxe en France. On a vingt ans de retard au niveau du marketing et du management. Dans les années 90, la boxe était sur TF1, qui retransmettait les combats des frères Tiozzo, ça paraît incroyable. Il faut en finir avec le cliché du boxeur au nez cassé, qui est incapable de s’exprimer. Il faut vendre du rêve sur et en dehors du ring.

Canal+ et SFR se sont livré bataille pour vous. D’autres diffuseurs comme le service public vous intéresseraient-ils à l’avenir ?

Déjà, s’il n’y avait pas eu la concurrence de SFR, je n’aurais pas eu tout ce que j’ai obtenu. La concurrence c’est bien et ça prouve que la boxe revient à la mode. SFR a l’équipe de Brahim Asloum [les Fighting Roosters, qui prennent part aux World Series of Boxing]. Canal a signé Souleymane. J’ai envie que des boxeurs signent avec SFR. Deux grosses chaînes qui aident la boxe c’est positif. En ce qui concerne l’avenir, pourquoi pas imaginer que dans quelques années je collabore avec le service public ou même TF1. Sait-on jamais ?

Combien de temps vous laissez-vous pour atteindre vos objectifs sportifs ?

Moins que Joshua. Il a été champion olympique en 2012 et il a attendu cinq ans avant son premier gros combat face à Klitschko. Je me laisse trois ans avant de disputer mon premier gros rendez-vous. Il n’y a pas que Joshua, il y a une très belle génération de poids lourds avec des boxeurs comme Deontay Wilder ou Joseph Parker. J’ai envie de faire partie de ce cercle fermé.