Parade de l’égalité, à Varsovie, le 3 juin | Czarek Sokolowski / AP

La dix-septième parade de l’égalité de Varsovie a réuni, samedi 3 juin, près de 10 000 personnes, venues promouvoir « la protection contre les discriminations et le langage de haine » et « l’égalité des droits ». Encadrée par un important dispositif policier, la manifestation a cette année été avancée d’une semaine, pour ne pas coïncider avec le match de football Pologne-Roumanie, et éviter tout débordement potentiel avec les supporters ultras.

En Pologne, cette parade a chaque année une forte connotation politique. L’arrivée au pouvoir des ultraconservateurs du PiS (Droit et justice), en octobre 2015, est perçue comme une période de régression des droits des minorités. « Il faut montrer que nous sommes nombreux, casser les stéréotypes encore trop présents en Pologne, souligne Julia Zagorska, 24 ans. C’est important pour nous d’être là, de se sentir membre d’une communauté. Cela aide à surmonter la peur. Nous voulons devenir une minorité visible »

Pour Piotr, 28 ans, « cette manifestation est un gigantesque contraste par rapport à la mentalité véhiculée par le parti au pouvoir ». Selon lui, « si la situation politique évolue dans le mauvais sens, ce n’est pas le cas de la société. D’un point de vue sociétal, les études montrent que la tolérance augmente globalement en Pologne. Paradoxalement, l’actuel gouvernement fait notre jeu. En voulant nous intimider, il provoque une plus grande mobilisation de la société civile pour notre combat. »

Un constat que partage Iwona, de six ans son aînée. Elle pense aussi que « la Pologne est malgré tout de plus en plus tolérante ». « C’est vrai qu’il y a actuellement une propagande politique très dure et qui surfe sur les clichés, qui parle de l’homosexualité comme d’une idéologie. Ce pouvoir catégorise et exclut, il polarise énormément la société », reconnaît-elle.

D’ailleurs « le coming out n’est pas une chose facile en Pologne », assure Natan, 23 ans. « Cela dépend beaucoup de l’environnement dans lequel on vit. La situation est meilleure dans les grandes villes. Pour ma part, je viens d’une ville de taille moyenne où je ne me sentais mal, j’étais victime d’une importante pression sociale. J’ai déménagé à Varsovie ou je m’épanouis pleinement », témoigne-t-il.

Un « village de l’égalité »

Le rassemblement était placé cette année sous le signe de l’éducation. Pour sensibiliser aux questions LGBT, un « village de l’égalité » a été déployé aux alentours du palais de la culture, gratte-ciel symbolique du centre de Varsovie. « La tolérance passe par l’éducation, et en Pologne, il n’y a aucune éducation en matière d’égalité dans le système scolaire, ni d’éducation sexuelle qui pourrait sensibiliser à ces questions », souligne Karolina Wieckiewicz, de l’association Lambda Warszawa, co-organisatrice du « village ».

A Varsovie, le 3 juin | Czarek Sokolowski / AP

Selon le classement annuel Rainbow map mené par ILGA-Europe, l’organisation européenne LGBT, la Pologne est l’un des pays de l’Union européenne qui assure la plus faible protection juridique en la matière. Le code pénal polonais ne reconnaît pas les crimes ou délits motivés pas la haine envers les homosexuels. « C’est particulièrement alarmant dans un contexte où une personne homosexuelle sur trois, et une personne transsexuelle sur deux habitants en Pologne a été victime d’acte de violence » souligne Pawel Kunt, juriste à l’organisation Campagne contre l’homophobie (KPH).

Les associations dénoncent par ailleurs « une atmosphère de consentement » envers les actes à caractère homophobes, depuis l’arrivée au pouvoir du parti ultraconservateur PiS. Un cas particulièrement révélateur a été la condamnation par la justice d’un imprimeur, pour avoir refusé d’imprimer des tracts pour une association de défense des personnes LGBT. Le parquet avait fait appel de cette décision, et le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, qui est aussi procureur général, avait qualifié cette condamnation de « précédent dangereux pour la liberté de conscience ».

« Après les dernières élections législatives, la situation des personnes LGBT a empiré en Pologne », assure Pawel Kunt, qui a vu le bureau de son association être attaqué à quatre reprises ces derniers mois.

« Les politiques du parti au pouvoir remettent en cause dans leurs discours publics le bien-fondé de la protection des personnes LGBT. Certains d’entre eux ont un discours ouvertement homophobe. En conséquence, de plus en plus de personnes s’autorisent aussi à tenir des discours haineux en public, et cette parole se banalise. »

Les militants associatifs se plaignent également du « manque d’interlocuteurs politiques » au sein du principal parti d’opposition, Plateforme civique (PO - centre droit). « Pendant leurs huit années de gouvernance, ce parti pourtant estampillé comme “libéral” n’a rien fait pour les droits des minorités sexuelles, par peur de se mettre à dos l’Église et la partie plus conservatrice de son électorat » souligne Hubert Sobecki, de l’association L’amour n’exclut pas.

En mai 2015, le Parlement, dominé par une majorité de centre droit avait rejeté un texte sur l’union civile, équivalant du Pacs et, aujourd’hui, seul le parti libéral Nowoczesna (Moderne – 7,6 % des voix aux dernières élections) se prononce ouvertement pour la promotion des droits des homosexuels, dans un contexte ou aucun parti de gauche n’est rentré au Parlement.

La Pologne reste un pays où 90 % de la population se déclare catholique, dont une moitié de pratiquant. Selon une étude de la fondation Stefan Batory, près de la moitié de la population polonaise perçoit l’homosexualité de manière négative. Mais selon les associations, les mentalités évoluent. Hubert Sobecki avance, lui, des enquêtes d’opinion qui révèlent que « 29 % des Polonais se prononcent pour le mariage homosexuel, et plus de la moitié de la population est d’accord pour une forme de régulation juridique des unions du même sexe. Il s’avère souvent que les politiques sont plus conservateurs que leurs électeurs »