Editorial du « Monde ». Nous sommes en guerre contre une idéologie, a dit Theresa May quelques heures, dimanche 4 juin, après l’attentat qui a endeuillé Londres. Le premier ministre n’a rien révélé de l’identité des auteurs du massacre perpétré au cœur de la capitale. Mais elle a incriminé « l’extrémisme islamiste » – son influence intellectuelle, ses réseaux sur le cyberespace, ses prédicateurs. Non sans quelque raison. La bataille est policière, bien sûr. Elle est, tout autant, politique. C’est là aussi où commencent les difficultés.

A cinq jours des élections générales du 8 juin, Mme May a annoncé de nouvelles mesures de renforcement de la législation antiterroriste – écoutes, garde à vue, surveillance électronique. La chef conservatrice était attendue à ce chapitre. Moins de deux semaines après le carnage de Manchester (22 morts, une vingtaine de blessés graves), une camionnette venait de foncer sur les passants le long du London Bridge. Après avoir fauché nombre de promeneurs, trois hommes en sortaient et attaquaient au couteau les clients des bars alentour. « C’est pour Allah », disaient les tueurs ; dimanche soir, on comptait sept morts et une cinquantaine de blessés. La police est immédiatement intervenue. Les trois terroristes ont été tués.

Scotland Yard n’a rien révélé de leur identité. Nombre de précédents font démentir la thèse des « loups solitaires », celle d’actes commis par des éléments agissant de leur seule initiative. Bien souvent, la police en Europe a retracé une connexion, plus ou moins lâche, avec une cellule ou un proche d’al Qaïda ou du groupe Etat islamique. Le lien n’est pas forcément organisationnel ou logistique. Le lien, c’est d’abord l’idéologie. Mme May a raison de le rappeler. Après tout, le mot d’ordre auquel obéit ce genre d’acte a été lancé par al Qaïda et l’organisation dite Etat islamique : tuer des « juifs » et des « croisés » par n’importe quel moyen.

Ce qu’il faut combattre, a dit Mme May, « c’est l’idéologie démoniaque de l’extrémisme islamique », « une idéologie qui est une perversion de l’islam et de la vérité ». Question difficile dans des sociétés qui veulent préserver la liberté d’expression. Où commence l’extrémisme susceptible d’inciter au passage à l’acte ? Où commence l’affichage ostensible de convictions extrémistes ? L’Europe a-t-elle trop longtemps toléré ou ignoré nombre de ces prédicateurs salafistes, financés par les Etats du Golfe, alliés stratégiques et clients économiques des Européens ?

Mme May a annoncé une politique ayant pour objet « d’identifier l’extrémisme islamiste », cette pathologie qui « détourne l’esprit » et que promeuvent « les prêcheurs de haine et ceux qui les soutiennent ». Mais elle a aussi laissé entendre qu’elle appelait à une réflexion sur le communautarisme britannique, ce mode d’intégration qui vise à permettre aux minorités ethniques et religieuses de rester au plus près de leur culture originelle. Les valeurs de la démocratie britannique, a dit le premier ministre sortant, seraient menacées par une vie menée au sein de « différentes communautés séparées et ségréguées ».

Il est peu probable que cette vague d’attentats ait un impact notable sur le scrutin du 8 juin. Cela semble être une caractéristique de l’Europe que les partis de l’extrême droite, ceux qui jouent volontiers de l’islamophobie, restent aux portes du pouvoir, même sous l’assaut répété du terrorisme islamiste. Mme May le sait : al Qaïda comme l’EI veulent voir l’Europe entrer en guerre civile contre ses musulmans. Dans cette bataille-là, il faut que les djihadistes continuent à être perdants.