La première ministre britannique Theresa May lors de son allocution, le 4 juin. | ANDREW MATTHEWS / AP

Lors de son allocution devant le 10 Downing Street, dimanche 4 juin, au lendemain de l’attentat à Londres, la première ministre britannique, Theresa May, a critiqué Internet et les grandes entreprises du numérique, les accusant de « fournir au terrorisme des espaces sûrs pour se propager ». « Nous devons travailler avec les gouvernements démocratiques alliés pour aboutir à un accord international qui régulera le cyberespace et bloquera la diffusion de l’extrémisme et empêchera l’organisation d’attentats », a dit Mme May lors de cette intervention.

Ce n’est pas la première fois que la première ministre britannique et son gouvernement proposent d’augmenter les pouvoirs de surveillance de la police et des services de renseignement. En mars, après l’attentat de Westminster, sa ministre de l’intérieur, Amber Rudd, avait jugé « inacceptable que le chiffrement des données mis en place par certaines messageries, comme WhatsApp, offre un endroit où peuvent se cacher les terroristes ». Et après l’attentat de Manchester du 22 mai, Theresa May avait demandé au G7 une action commune contre les réseaux sociaux et les géants du Web, qu’elle accusait – déjà – de fournir des « espaces sûrs » aux terroristes.

Un puissant système de surveillance déjà en place

En matière de surveillance numérique, le Royaume-Uni dispose pourtant déjà d’un des arsenaux juridiques et techniques les plus puissants de tous les pays démocratiques. Outre les capacités techniques considérables de son service de renseignement électronique, le GCHQ – partenaire numéro 1 de la NSA américaine, comme l’ont montré les documents confidentiels rendus publics par le lanceur d’alerte Edward Snowden – sa police dispose de moyens de surveillance particulièrement larges.

Depuis la fin 2016, et l’entrée en vigueur de l’Investigatory Powers Act, les fournisseurs d’accès doivent par exemple conserver l’historique de tous les sites visités par les internautes durant un an, et ces données peuvent être consultées sans mandat par la police et de nombreuses agences de sécurité.

L’Investigatory Powers Act, qui est venu s’ajouter à une batterie de textes antiterroristes votés depuis 2000, était l’un des grands projets de Theresa May lorsqu’elle était ministre de l’intérieur. Très critiquée, la première version du texte avait été surnommée « Snooper’s charter » (la « charte des fouineurs ») par ses opposants, et n’a pu être adoptée par le Parlement qu’après la déroute des Libéraux-Démocrates, principaux adversaires du texte, aux élections législatives de 2015.

Sans surprise, les Libéraux-Démocrates ont été parmi les premiers à critiquer les déclarations de Mme May. « Ces problèmes ne seront pas réglés par des petites phrases ou en interdisant des technologies », écrit Tim Farron, le chef de file du parti, dans une tribune au Guardian :

« Sinon, nous aurons un gouvernement qui surveille et contrôle Internet comme le font la Chine et la Corée du Nord. Si nous transformons Internet en un outil de censure et de surveillance, les terroristes auront gagné. Nous n’augmentons pas notre sécurité en réduisant nos libertés. »

Electoralisme

Les adversaires politiques de Mme May l’accusent d’opportunisme électoraliste, alors que les élections législatives sont prévues le 8 juin. Ils rappellent que Mme May était chargée ces dernières années de la sécurité des Britanniques, et qu’elle a beau jeu aujourd’hui de proposer de « nouvelles mesures », d’autant plus qu’elle a réduit les budgets de la police quand elle était au pouvoir.

Mais les critiques sont également formulées par plusieurs experts de premier plan qui considèrent que la surveillance accrue, évoquée par la première ministre, est une mesure électoraliste mais peu efficace, voire contre-productive.

« Un argument politique facile mais intellectuellement paresseux »

« Peu de gens se radicalisent exclusivement en ligne. Accuser les réseaux sociaux est un argument politique facile mais intellectuellement paresseux », écrit le chercheur spécialisé dans les phénomènes de radicalisation Peter Neumann sur Twitter.

« Si cette approche était mise en place, tout ce que Theresa May parviendrait à faire, c’est de repousser ces réseaux terroristes dans des recoins encore plus sombres du Web, où il est encore plus difficile de les surveiller », écrit Jim Killock, le directeur de l’Open Rights Group, une organisation de défense des libertés.

Des critiques d’autant plus vives qu’à ce stade de l’enquête, aucun élément porté à la connaissance du public n’indique que les auteurs de l’attentat du London Bridge se soient rencontrés ou organisés en ligne.