Global Witness publie, lundi 5 juin, un rapport au vitriol sur le secteur des mines en Ouganda. L’ONG britannique dénonce la corruption « systématique » et la mauvaise gestion qui règnent au sein de la Direction des études géologiques et des mines (DGSM), chargée notamment de l’attribution des licences d’exploitation.

Une députée qui a obtenu un permis d’exploitation minière en plein cœur d’une réserve naturelle protégée. Un autre parlementaire payé pour négocier à bas prix l’évacuation de communautés villageoises, dont les terrains sont convoités par une entreprise de phosphates. Ou encore des tonnes de minerais de fer cachés aux autorités pour éviter de payer des taxes. Ce ne sont que quelques-uns des exemples cités dans le rapport de Global Witness, qui dresse un tableau accablant du secteur des mines en Ouganda.

« Impossible d’obtenir une licence sans payer »

Dans le collimateur de l’organisation spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles figure surtout la DGSM. Directement rattachée au ministère des mines et de l’énergie, c’est elle qui délivre notamment les permis d’exploitation minière. « Nous avons été informés qu’il est impossible d’obtenir des licences de la part du DGSM sans donner une contribution à certains de ses responsables, souligne ainsi Global Witness, et [notre enquête] montre que les responsables de la direction sont fortement incités à privilégier les compagnies proches de l’élite politique. »

Visé dans l’une des affaires publiées dans le rapport, on compte aussi Joshua T. Tuhumwire, un géologue de formation qui a été le directeur du DGSM de 2011 à 2013. Global Witness demande que le gouvernement enquête sur les pots-de-vin reçus pour l’attribution de certaines licences. Ce dernier ne souhaite pas s’exprimer sur ce dossier mais affirme que, depuis 2013, il a monté plusieurs structures minières, et qu’il a « obtenu plusieurs licences sans jamais devoir payer de pots-de-vin au DGSM », même s’il ajoute, fataliste, que « la corruption est une réalité en Ouganda ».

La Chambre ougandaise des mines et du pétrole, qui regroupe l’ensemble des entreprises du secteur, doit se réunir pour étudier le rapport. Mais son président, Elly Karuhanga, accueille cette publication avec suspicion : « Vous savez, lorsque ce genre de rapport vient d’un pays étranger, il peut y avoir des intérêts derrière. » Il admet cependant qu’« il y a bien eu dans le passé des problèmes avec l’attribution des licences », mais, selon lui, le processus a été revu depuis. « Je n’ai jamais reçu de plaintes pour manque de transparence de la part de compagnies, mais nous avons eu des remarques sur le fait que la loi n’était pas assez moderne, et nous y travaillons avec le gouvernement. »

Selon une autre source au sein de la Chambre, la plupart des informations contenues dans le rapport sont cependant « probablement exactes ». Selon lui, la réponse des autorités doit venir du plus haut niveau avec « la mise en place d’une commission d’enquête sur tous les cas concernés ». Mais la présence de membres de l’élite politique ougandaise dans certains de ces dossiers risque fort de freiner cette demande de clarté. La Chambre est par ailleurs elle-même égratignée par le rapport, qui souligne la présence au poste de vice-président d’un ancien ministre des mines, Richard Kaijuka. Un témoignage de plus, selon Global Witness, de la collusion entre intérêts publics et privés dans ce secteur.

Accaparement des terres

Le rapport dénonce aussi plus largement l’accaparement des terres et la destruction de zones naturelles, conséquence directe de ces mauvaises pratiques. Selon le cadastre des mines, le DGSM a attribué des licences d’exploration dans 25 des 28 zones protégées du pays. La plus emblématique est sûrement la réserve dite de la forêt impénétrable de Bwindi, qui abrite quelques-unes des dernières populations de gorilles de montagne.

Les conditions de travail des mineurs embauchés par les compagnies inquiètent également Global Witness. Ils devraient bénéficier de protections bien meilleures que les dizaines de milliers de mineurs artisanaux, ce qui n’est pas le cas. Paradoxalement, les instances mises en place pour établir des contrôles manquent cruellement de moyens.

L’ONG pointe aussi du doigt la nouvelle raffinerie d’or AGR, qui a commencé ses activités dans le pays il y a un peu plus d’un an. Elle soupçonne ses dirigeants et le gouvernement de fermer les yeux sur les origines de l’or, avec un risque important qu’il provienne de zones de conflits dans l’est de la RDC ou du Soudan du Sud. Le directeur de la raffinerie, Alain Goetz, se défend en affirmant « avoir lancé des études en amont pour garantir la traçabilité de l’or ». Selon lui, la présence de la raffinerie devrait même permettre de formaliser une filière qui échappait jusque-là à l’Etat.

La carte des licences d'exploitation minière et des zones naturelles protégées en Ouganda. | Global Witness

Les exportations d’or ont bondi de plus 220 millions de dollars (195,6 millions d’euros), passant 110 millions de dollars en 2015 à 336 millions de dollars en 2016 pour devenir la seconde valeur d’exportation du pays, juste après le café. En 2017, l’Ouganda compte encore faire monter ce chiffre à 400 millions de dollars, soit environ 10 tonnes d’or.