L’équipe de Clermont, au Stade de France, dimanche 4 juin 2017. | Kamil Zihnioglu / AP

Minuit passé, station Denfert-Rochereau, à Paris. Des célébrations confuses, mais audibles, depuis le quai du RER. « T’entends ça ? » Bien sûr qu’ils entendent « ça », les trois supporteurs de l’Association sportive montferrandaise Clermont Auvergne (ASM) qui posent la question. Un peu plus tôt dans la soirée, à Saint-Denis, ces jeunes ont fait une expérience savoureuse. Quasi inédite, même : fêter une victoire du club auvergnat en finale d’un championnat de France. Dimanche 4 mai, Clermont a tenu bon face à Toulon (22-16) pour remporter (seulement) le deuxième titre national de son histoire.

Un deuxième titre après celui de 2010. Ou plutôt, dit autrement : un deuxième titre après les onze défaites en finale. « Cela arrache le cœur de perdre », reconnaît l’un des trois supporteurs du RER, Mathieu Dedel, comme pour souligner que la victoire du soir n’en est que plus belle. Surtout contre ce même Rugby club toulonnais qui avait battu à deux reprises Clermont en finale de Coupe d’Europe, en 2013 puis 2015 – compétition que les Auvergnats ont perdue une troisième fois il y a trois semaines face aux Saracens de Londres.

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Pour Mathieu, ce sacre national a un mérite : récompenser la régularité du club dans les hauteurs du championnat de France. « Nous, au moins, on est toujours en haut de l’affiche, on parle toujours de nous. Y a d’autres clubs, on parle d’eux une fois tous les dix ans… »

A 19 ans, le gaillard aux cheveux bruns coupés de près a deux bonnes raisons de se sentir membre de la « Yellow Army », comme on appelle la communauté des supporteurs de l’ASM. D’une, il est militaire. De deux, surtout, il vibre pour ce club dans la victoire (chose rare en finale) comme dans la défaite (chose rare… jusqu’aux finales).

« Rougerie a pris sa revanche »

Dimanche, les trois supporteurs ont « fêté la victoire avant le match ». Certes, parce qu’ils avaient soif. Mais aussi, assure Mathieu, parce que « tout le monde sentait que cette année était la bonne » : « Ç’aurait été une surprise si Clermont ne finissait pas champion. On a dominé le championnat. A Marseille, en demi-finales, Clermont a dévoré le Racing [37-31] », selon le spectateur, qui omet toutefois de préciser qu’un club a fini devant l’ASM au terme des vingt-six matchs de la saison régulière : celui de La Rochelle, éliminé ensuite en demi-finales par Toulon.

A la sortie du Stade de France, Jean-Paul Conbémorel, au côté de sa fille, Camille, voulait faire taire les mauvaises langues : « On n’est pas des losers ! » En mai, l’ingénieur avait modérément apprécié un article du quotidien sportif L’Equipe qualifiant ainsi Aurélien Rougerie, au lendemain de la finale contre les Saracens. « Là, on était typiquement dans le cliché. Vous avez vu, ce soir, Rougerie a pris sa revanche. »

Le trois-quarts centre, entré en cours de match, a remplacé le jeune Damian Penaud. Jusqu’à ce deuxième titre de champion de France, l’ancien international français restait sur cinq finales perdues en championnat et une seule de gagnée, contre Perpignan (2010).

Camille Conbémorel, ingénieure comme son père, a 27 ans. Et donc forcément moins de souvenirs de défaites que lui : « Maintenant, on est plus impatients, on est peut-être plus dans l’envie de gagner. » Elle raconte l’engouement de toute une ville autour de son club de rugby : « Dans mon école d’ingénieurs, il y avait des étudiants de la France entière et pourtant, toutes les promos sortaient de l’école en étant fans de Clermont à l’issue des trois années dans la ville. » Le déclic, pour beaucoup ? « Une fois qu’on a mis un pied au stade Michelin », selon elle un havre de « respect, de beau jeau, de convivialité, ce qu’on ne trouve pas forcément dans d’autres stades. »

« Un peu peur » d’une nouvelle défaite

Cette victoire constitue une récompense pour Clermont et pour « toute l’Auvergne », considère le manageur du club, Franck Azéma. « Cela fait plaisir de voir des gens heureux. » Devant une nuée de journalistes, l’entraîneur considère que l’ASM « a tourné la page » de toutes ses finales perdues, qu’il s’est débarrassé de « cette étiquette » de perdant chronique. Le club a gagné deux de ses trois dernières finales disputées en championnat de France, la défaite en 2015 contre le Stade français entrecoupant les victoires de 2010 et 2017. Moralité : « On a fini par y arriver ! », a d’ailleurs conclu Rougerie à l’issue du match, la voix éraillée, au micro du speaker venu à sa rencontre sur la pelouse.

Eric de Cromières, costume et grand sourire, fait plutôt dans la périphrase. Eu égard aux finales perdues en Top 14 comme en Coupe d’Europe, le président du club concède avoir eu « un peu peur que [ces] échéances précédentes se renouvellent ». D’autant que « Toulon a été plus qu’un valeureux adversaire », rappelle-t-il à juste titre : quoique très tôt mené au score, le club varois a préservé le suspense grâce à une pénalité inscrite à trois minutes de la fin, maintenant jusqu’au terme des Clermontois sous pression.

A Clermont, dimanche 4 juin, pendant la retransmission de la finale. | JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Pour l’ancien cadre de la société de pneumatiques Michelin, qui fonda le club au début du XXe siècle, ce deuxième titre national « concrétise un résultat aux yeux du public, de la presse, aux yeux de tout le monde, au-delà de la qualité du jeu. » Forfait sur blessure depuis plusieurs semaines pour certains (Fofana, Vahaamahina, entre autres), les rugbymen auvergnats auront des renforts appréciables pour défendre leur tout récent statut de champion de France : cet été s’ajouteront à l’effectif le pilier Rabah Slimani (Stade français), qui s’apprête à devenir le joueur français le mieux rémunéré du championnat, ainsi que le demi de mêlée écossais Greg Laidlaw (Gloucester).

Gros investissements en perspective pour le club. En attendant, aphorisme de M. de Cromières : « On ne se souvient jamais de qui a perdu [en finale], on se souvient toujours de qui a gagné. » Sauf pour l’ASM, donc, au moins aussi célèbre dans la défaite que dans la victoire. Et tout autant apprécié par son public, qui l’attend désormais ce lundi place de Jaude, de retour dans la préfecture du Puy-de-Dôme. Le capitaine du club, Damien Chouly, y présentera un drôle d’objet avec lequel il a déjà couru dimanche soir le long des tribunes : le bouclier de Brennus, du nom du sculpteur qui conçut le trophée remis au champion de France.