Ashin Wirathu, lors d’une réunion consécutive à l’interdiction de son mouvement, le 27 mai à Rangoun. | YE AUNG THU / AFP

Ashin Wirathu espérait que le documentaire qui lui est consacré lui servirait de tribune. Le Vénérable W., du réalisateur suisse Barbet Schroeder, qui sort mercredi 7 juin en salles, pourrait, en réalité, signer le début de sa chute. Le moine birman extrémiste, qui a acquis une renommée internationale en multipliant les propos haineux contre les Rohingyas – ethnie musulmane persécutée en Birmanie –, a essuyé ces derniers mois une série de revers politiques, sans pour autant s’avouer vaincu. Après plusieurs mises en garde des autorités religieuses bouddhistes, Wirathu a été, en mars, interdit de sermon pour une durée d’un an. Le 23 mai, trois jours après la présentation, en séance spéciale au festival de Cannes, du Vénérable W., le mouvement dirigé par Wirathu, Ma Ba Tha (Association pour la protection de la race et de la religion) était interdit en Birmanie, toutes ses pancartes de propagande devant être retirées avant le 15 juillet.

  • Le documentaire de Barbet Schroeder

Le réalisateur suisse présente Le Vénérable W. comme le troisième volet de sa « trilogie du mal », initiée en 1974 avec Général Idi Amin Dada sur le dictateur ougandais mort en 2003, puis avec L’Avocat de la terreur (2007) sur l’avocat français Jacques Vergès, décédé en 2013. Son documentaire, qui donne la parole à Ashin Wirathu comme à ses détracteurs – dignitaires bouddhistes, représentants d’ONG –, revient sur la propagation des émeutes interreligieuses en Birmanie et sur l’ascension politique du moine intégriste, à la faveur de l’ouverture politique initiée en Birmanie en 2011. Pour convaincre Wirathu de participer à son projet, Barbet Schroeder a mis en avant le contexte politique français avant l’élection présidentielle de 2017 : le réalisateur lui a affirmé que Marine Le Pen « partage beaucoup de ses idées » et si « elle arrivait au pouvoir, elle ferait sans doute appliquer des lois semblables à celles qu’il venait d’arriver à faire voter dans son pays ». En 2015, avant l’accession au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, le moine birman avait fait pression sur la junte pour faire adopter une série de lois sur « la race et la religion », encadrant les mariages interreligieux et les conversions à l’islam. Le Vénérable W. montre un Wirathu à l’offensive, multipliant les références au président américain Donald Trump et espérant convaincre son auditoire occidental du danger que représentent, selon lui, l’islam et les musulmans à travers le monde.

  • La perte de puissance du moine extrémiste

Déjà dans le film de Barbet Schroeder, la perte de puissance du bonze est esquissée : les autorités religieuses lui interdisent alors de faire figurer le symbole de son mouvement, Ma Ba Tha, sur le drapeau bouddhique. La sortie du documentaire semble avoir accéléré le processus – jusqu’à l’interdiction totale du mouvement, le 23 mai. « Il est vraisemblable que le film ait incité la Sangha [le clergé bouddhique] à interdire Ma Ba Tha, alors qu’il était présenté à Cannes, afin de contrebalancer une image potentiellement négative, note Matthew Smith, de l’ONG Fortify Rights, qui intervient également dans Le Vénérable W. pour dénoncer l’attitude d’Ashin Wirathu. Les autorités ne sont pas imperméables à la critique internationale. Mais ce serait une erreur de penser que les moines extrémistes sont marginalisés. Ils jouissent de puissants soutiens, sont toujours actifs à travers le pays et sont de plus en plus déterminés à intégrer le paysage politique. » En effet, d’ex-partisans du groupe Ma Ba Tha ont annoncé, dimanche 28 mai, la création d’un parti politique, baptisé « 135 patriotes unis », qui s’en prend à la Ligue nationale pour la démocratie (NLD, au pouvoir, le parti d’Aung San Suu Kyi), l’accusant de ne pas défendre les bouddhistes.

  • Le sort des Rohingyas

Les Rohingyas, considérés par les autorités birmanes comme des immigrés illégaux originaires du Bangladesh, n’ont pas la nationalité birmane. Ils sont plus de 1 million dans le pays, concentrés dans l’Etat d’Arakan. « Quelque 120 000 d’entre eux sont confinés dans une quarantaine de camps d’internement en Arakan, indique Matthew Smith. Plus de 500 000 ont trouvé refuge au Bangladesh, d’autres en Thaïlande, en Malaisie, en Indonésie, en Arabie saoudite, au Pakistan, en Inde, etc. En raison des mauvais traitements qui leur sont infligés depuis des décennies, ils sont aujourd’hui plus nombreux à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur. » En février, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme accusait les forces de sécurité birmanes de commettre des meurtres de masse et d’avoir orchestré une campagne de viols collectifs contre les femmes musulmanes vivant en Arakan. L’ONU, qui décrit les Rohingyas comme la minorité la plus persécutée au monde, a désigné, le 24 mars, une mission indépendante visant à documenter les faits. Aung San Suu Kyi, qui occupe de facto les fonctions de chef d’Etat, a indiqué en avril qu’elle n’accepterait pas l’envoi d’une telle mission, car la réalité décrite ne correspondait pas, selon elle, à la situation du pays.