Dans la chaleur lourde qui écrase le Vieux-Port de Marseille, mardi 6 juin, Bernard Cazeneuve ne cède ni à la décontraction ni au défaitisme. Au côté du massif Patrick Mennucci, l’ancien premier ministre reste égal à lui-même, un brin rigide dans son costume bleu nuit, rehaussé d’une pochette blanche. Pour le rafraîchir, le député sortant de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, commande un Pac à l’eau, sirop de citron local, à la terrasse d’un café.

Echange de bons procédés, alors que M. Cazeneuve vient à la rescousse d’un candidat socialiste en danger. « On dit que je serais en train de tenir à bout de bras la vieille maison de l’ancien monde, face au nouveau. (…) Mais je fais mon devoir », s’agace l’ancien chef du gouvernement, qui refuse de se voir comme le dernier pilier encore debout du PS. « Je ne suis pas de ceux qui abandonnent les combats, les amis, quand il y a des tempêtes », poursuit-il.

A Marseille comme ailleurs, la campagne des socialistes sent le désenchantement, même si Patrick Mennucci se bat et proclame qu’il ne se voit pas perdre. M. Cazeneuve a profité de ce déplacement sur les nouvelles terres de Jean-Luc Mélenchon, candidat dans la même circonscription, pour annoncer qu’il avait signé le matin même sa plainte en diffamation contre le leader de La France insoumise, qui lui a reproché d’avoir « assassiné » Rémi Fraisse, militant écologiste tué à Sivens (Tarn) en 2014. « C’est devenu une telle opération d’autodestruction, une telle caricature, que je suis presque dans la compassion », griffe-t-il.

Gardien du temple

Cette compassion, l’ex-premier ministre semble la montrer aussi pour tous les candidats socialistes en mauvaise posture qu’il vient soutenir depuis qu’il a quitté Matignon, à raison de trois ou quatre déplacements par semaine : Cherbourg, Clermont-Ferrand, Villeurbanne, Compiègne, Lens, Bordeaux, Marmande… Le 7 juin, il devait se lancer dans une journée marathon à Paris, enchaînant pas moins de quatre rendez-vous à la rescousse de George Pau-Langevin, Sandrine Mazetier, Patrick Bloche ou encore Seybah Dagoma. « Nous avons reçu 150 demandes de déplacements, explique-t-on dans son entourage. Les salles sont remplies. Après, est-ce que ça se traduira dans les urnes ? »

Alors que la plupart des ténors du PS se taisent ou luttent pour leur survie politique, M. Cazeneuve – qui doit rejoindre le cabinet d’avocats August Debouzy – est l’un des seuls à donner de la voix depuis la victoire d’Emmanuel Macron. Lui qui s’est toujours tenu le plus éloigné possible de la cuisine de la rue de Solférino joue aujourd’hui au gardien du temple. Aussi répète-t-il qu’il « ne croit pas à la disparition du clivage droite-gauche » et qu’il vaudrait mieux pour le pays une « coalition » de bonnes volontés qu’un « parti unique » ayant tous les pouvoirs.

Comme un prédicateur lancé sur un chemin de croix, multipliant les stations au chevet d’amis socialistes en souffrance, M. Cazeneuve appelle en outre le président élu à la tempérance et la sagesse. « Il ne faut pas se laisser griser, confiait-il au Monde il y a peu. Il y a rupture mais pas big bang. Il faut être attentif à la force de l’histoire, ne pas considérer que rien n’existait avant soi. » A Marseille, il a conclu sur un adage mitterrandien : « La politique c’est un exercice cyclique. Quand ça ne va pas, ce n’est pas pour toujours. Quand ça va bien, ce n’est pas pour l’éternité. »