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LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine découvrez, un magistral recueil sur le « noble art », l’histoire d’un homme au fil de sa poésie, un tableau des relations humaines à l’heure des amours vécues ou balayées d’un clic, un ouvrage passionnant consacré au voyage scientifique d’Alexander von Humboldt (1769-1859) en Italie en 1805.

RÉCIT. « Scènes de boxe », d’Elie Robert-Nicoud

Sans l’héroïser, le récit d’Elie Robert-Nicoud ravive la mythologie des pugilistes que le film noir a magnifiée. Scènes de boxe est un magistral recueil sur le « noble art », mariant thèmes, portraits (Max Baer, Jimmy Braddock, Emile Griffith, Henry Armstrong, Joe Louis, Joe Frazier…) et anecdotes.

Sous la plume de l’écrivain, fils d’un boxeur professionnel et lui-même entraîneur auprès de jeunes en difficulté, le ring est un précipité. De quoi ? De douleur et de revanche sociale, de gueules amochées et de protagonistes plus ou moins cinglés. Le livre laisse dans son sillage la tristesse sans remède qu’inspirent les vies cabossées ou les albums de blues. Macha Séry. 

« Scènes de boxe », d’Elie Robert-Nicoud, Stock, 224 pages, 18,50 €.

POÉSIE. « Requiem de guerre », de Franck Venaille

C’est l’histoire d’« un homme qui est hospitalisé et qui ne sait pas bien pourquoi ». C’est aussi l’un des plus beaux livres en vers libres et en prose de l’année. Franck Venaille, 80 ans, revient dans Requiem de guerre sur sa lutte avec la vie et avec lui-même, réorchestrant en dix mouvements ses thèmes fétiches : la guerre d’Algérie, la rupture avec le catholicisme puis le communisme, l’enfance meurtrie et la rigueur des morts. « Me voici :/vieux – vieux – vieux & usé/dans l’absolue nécessité de mettre mes souvenirs en place ». Franck Venaille vient de recevoir le prix Goncourt de la poésie et le Grand prix national de la poésie. Eric Loret

« Requiem de guerre », de Franck Venaille, Mercure de France, 112 pages, 11 €.

ROMAN. « Cicatrice », de Sara Mesa

Un homme, une femme. Deux inconnus et Internet. De ce trio désormais familier aux multiples déclinaisons possibles, l’Espagnole Sara Mesa tire un roman qui déjoue les lois de l’attraction simple, pour proposer un tableau inquiétant et hors normes des relations humaines à l’heure des amours vécues ou balayées d’un clic.

D’une écriture très maîtrisée, dont l’épure rajoute à l’atmosphère angoissante du récit, l’auteure explore les mécanismes psychologiques qui rendent possible la soumission d’un personnage à un autre. Empruntant aussi bien au Joueur de Dostoïevski qu’aux Liaisons dangereuses, elle excelle à rendre la pesanteur de cette intimité suffocante, que rien de l’extérieur ne semble pouvoir rompre. Ariane Singer 

« Cicatrice », de Sara Mesa, Rivages, « Littérature étrangère », 224 pages, 22,50 €.

ESSAI. « Le Monde dans un carnet », de Marie-Noëlle Bourguet

Prenez un vieux carnet jauni plein de chiffres, une « boussole de Freiberg », un savant célébré en Allemagne mais plutôt oublié en France, alors qu’il y a vécu vingt ans, et une exploration scientifique considérée comme mineure. Pas sûr que vous teniez là le matériau idéal d’un livre d’histoire susceptible d’intéresser au-delà d’un cercle étroit de spécialistes.

Pourtant, avec Le Monde dans un carnet, consacré au voyage scientifique d’Alexander von Humboldt (1769-1859) en Italie en 1805, Marie-Noëlle Bourguet, professeur émérite à l’université Paris-Diderot, livre un ouvrage passionnant, mêlant histoire des sciences, sa spécialité, histoire du voyage et jeu historien autour de traces ténues.

Deux enquêtes s’y enchâssent avec élégance. Alexander von Humboldt observe la terre et Marie-Noëlle Bourguet observe Humboldt observant la terre. La minutie de l’une répond à la rigueur de l’autre. Et, derrière la maîtrise savante du chiffre et de la preuve, court quelque chose de passionné, une volonté d’élucidation qui s’ordonne à partir du carnet de travail de Humboldt en Italie. Pierre Karila-Cohen

« Le Monde dans un carnet », de Marie-Noëlle Bourguet, Le Félin, « Les marches du temps », 321 pages, 25 €.