Des pirates ont réussi à se faire élire en Allemagne, en Suède et en Islande. La France reste un terrain à conquérir. | Morgane Tual / Le Monde

« Ce n’est pas une fin en soi les législatives, c’est le début d’une aventure. » Florie Marie est lucide : ses chances de devenir députée sont maigres, très maigres. Comme celles des 57 autres candidats du Parti pirate qui se présentent aux élections législatives, un nombre divisé par deux par rapport à 2012. Alors que les pirates triomphent en Islande, où ils ont manqué de peu les portes du pouvoir en 2016, et ont réussi ces dernières années à rafler quelques députés européens en Suède et en Allemagne, en France, ils semblent loin de pouvoir « pirater l’Assemblée » dans l’immédiat, comme Florie Marie le souhaiterait.

Lundi 5 juin, dans un square ensoleillé de Pantin, la candidate à la 6e circonscription de la Seine-Saint-Denis organisait une rencontre avec les citoyens d’Aubervilliers et de Pantin. En tout, une petite quinzaine ont fait le déplacement – un rassemblement qui ressemble plus à une réunion décontractée d’association qu’à un meeting politique. Et c’est tant mieux, si l’on en croit les discours des participants, simples curieux ou vrais militants, mais tous déçus des partis traditionnels. « En politique, on a tout un courant de partis où le chef parle et les autres disent amen, comme Mélenchon. Et il y en a d’autres ou il y a une démocratie, une jeunesse », plaide Ludovic, 45 ans.

Ici, tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, « Madame la députée » également, comme l’interpelle, goguenard, un des participants. « Ça fait drôle », répond-elle en souriant. Florie Marie se présente pour la première fois comme députée, après un passé chez Europe Ecologie - Les Verts :

« Ça fait trois ou quatre ans que je suis déçue de ce qui se passe chez eux, ils sont tombés dans les travers des partis traditionnels. J’ai envie de croire que le Parti pirate ne tombera pas dans ce piège-là. »

En découvrant le Parti pirate, elle est, dit-elle, « tombée amoureuse du code des pirates », un court texte en sept points qui énumère les valeurs partagées par les militants. Liberté d’opinion, solidarité et « courage moral » font partie des grands principes. Les pirates « défient les systèmes » et « apprennent de leurs erreurs », nous apprend aussi le « code ». Celui-ci évoque également des thématiques plus précises : la défense de la vie privée contre la surveillance « par l’Etat et l’économie », la promotion de la culture libre et du logiciel libre, l’opposition à la peine de mort et aux « brevets sur les vivants ». Les pirates se disent pacifistes, écolos et « s’appuient sur les ressources qu’offre Internet et par conséquent, pensent et agissent par-delà les frontières ».

Geek revendiquée

Les technologies occupent une place notable dans l’idéologie pirate, depuis ses origines. Le Parti pirate est né en 2006 en Suède, un peu comme une plaisanterie, initiée par le programmeur Rick Falkvinge, agacé que les géants du divertissement et les Etats ne traitent de pirates les promoteurs du partage libre de la culture. A l’époque, la question du piratage des films et de la musique est un énorme enjeu, notamment en Suède, pays de naissance du site The Pirate Bay. De nombreuses internautes pensent alors que le débat est en fait bien plus idéologique que la simple dichotomie « créateurs contre voleurs » souvent présentée par les ayants droit et les autorités.

Créé à partir d’une simple page Web, le Parti pirate essaime partout dans le monde, dont en France, en 2006, à la faveur de la lutte contre la loi Dadvsi sur le droit d’auteur. Mais c’est en Suède, en Allemagne et surtout en Islande que des pirates parviennent à donner de la voix et grapiller quelques sièges. Entre-temps, les revendications se sont élargies.

Florie Marie est la candidate pirate dans la 6e circonscription de Seine-Saint-Denis. | Morgane Tual / Le Monde

Florie Marie est une geek revendiquée, une « gameuse », comme la décrit Stan, un de ses soutiens. « Des outils comme [la plateforme collaborative] Slack, ça horizontalise », explique Ludovic. « Avec ça, tout le monde est à peu près au même niveau. Ça change des partis où tout le monde est derrière un homme, ou une femme – mais surtout un homme. » Ces outils numériques facilitent l’organisation des pirates, mais « comment on fait pour inclure autant que possible les gens de cette manière ? », interroge Ludovic, en prenant pour exemple ses parents peu à l’aise avec les nouvelles technologies. « On peut ouvrir un serveur Discord et j’organise une formation », répond au tac-au-tac la candidate.

D’autant plus que les profils des pirates, sympathisants et curieux sont très variés : dans ce petit groupe, l’âge oscille entre la trentaine et la soixantaine, du chercheur d’emploi – dont Florie Marie fait partie – au professeur à l’ENA. « Ce qu’on votera à l’assemblée, vous le voterez », affirme-t-elle auprès de ses potentiels électeurs, pour expliquer pourquoi le programme de son parti reste flou sur de nombreux points. « On part avec des idées de base, on réfléchira au fur et à mesure sur les problématiques qui se poseront, on n’est pas fermés », assure-t-elle, vantant les « idées collectives ».

« Expérimenter d’autres systèmes »

Le Parti pirate diffuse des tracts en forme de bateaux pirates. | Morgane Tual / Le Monde

« Le Parti pirate ne dit pas qu’il a la réponse à tout, il prône le droit à l’erreur, l’horizontalité, veut expérimenter d’autres systèmes », explique au Monde Nicolas Petitdemange, secrétaire national du Parti pirate. A 34 ans, ce responsable informatique dans une petite entreprise, pirate depuis 2013, se porte candidat en Alsace. Il mène lui aussi une campagne difficile. « On ne fait ça qu’avec nos propres moyens, notre budget vient uniquement des adhérents et des donateurs », souligne-t-il, critiquant un système français qui, selon lui, « n’est pas conçu pour permettre aux petits mouvements de s’exprimer ».

« Le système des 577 circonscriptions apporte des problèmes de financement : trouver 577 candidats capables de dépenser 2000 euros pour faire un début de score, c’est un volume d’argent impressionnant. On en est très très loin. »

Lui souhaiterait des élections proportionnelles, comme il en existe en Suède ou en Allemagne – ce qui a permis dans ces pays à des pirates de se faire élire. Ainsi que des bulletins de vote uniques, sur lequel on choisirait son candidat, plutôt que d’imposer aux partis le coût important d’imprimer leurs propres bulletins. Lors des dernières législatives, seuls « 20 à 30 » candidats pirates, sur la centaine se présentant aux élections, disposait de bulletins, affirme-t-il. « Cette année, on a des bulletins pour tout le monde et des affiches. J’ai espoir d’avoir de meilleurs résultats cette année : on fait dans le qualitatif plutôt que le quantitatif », estime le candidat, qui se dit « réaliste mais aussi optimiste ».

Ces élections ne représentent qu’une étape pour les pirates français, qui réfléchissent déjà à la suite. « Pas mal de pirates ont pour objectif de s’attaquer à la base, à des communes, annonce Nicolas Petitdemange. On veut y mettre l’open data, le logiciel libre… J’espère qu’on aura des élus municipaux, c’est très important pour progresser et être confrontés à la réalité de l’exercice du pouvoir. »