Législatives au Royaume-Uni : les premières déclarations de May, embarrassée, et de Corbyn, offensif
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Nul doute qu’au royaume d’Hamlet, la tragédie est un art. Pour le Telegraph, Theresa May est devenue en une nuit une « héroïne shakespearienne », après le recul de son parti à l’élection du jeudi 8 juin, qu’elle avait pourtant convoquée en vue d’asseoir son autorité pour les négociations du Brexit. Son échec est « probablement le pire faux pas d’un premier ministre en exercice dans l’histoire du pays », note le quotidien, qui dépeint sans fard sa « chute tragique ».

A l’unisson, le Times reprend le fil de la « soirée cauchemardesque » de la chef de file des conservateurs, qui ont perdu dans la nuit leur majorité absolue au Parlement. « Après le référendum du Brexit, Mme May était apparue comme une adulte au milieu des Pygmées, une figure solide avec les pieds sur terre, qui était resté au-dessus des petits jeux politiques des écoliers David Cameron, George Osborne, Boris Johnson et Michael Gove », se souvient avec une pointe de nostalgie le Telegraph. Mais Theresa May, avec son « style sec et froid » est « devenue douloureusement insipide au fil de la campagne », et « n’est plus l’atout électoral dans lequel son parti avait investi », note le Guardian.

« La promesse de Theresa May d’obtenir une majorité “forte et stable” apparait désormais comme un mauvais slogan politique, tout droit sorti d’un univers parallèle », écrit la BBC, avant de conclure qu’il est « incroyablement difficile de voir comment sa réputation pourrait jamais s’en remettre ». Si la première ministre, qui a fait une campagne « désastreuse » selon The Independent, a fait part vendredi matin de sa volonté de rester en poste, alors que les tories restent tout de même le premier parti du pays, « la pression qu’elle doit subir pour quitter le poste doit être incroyablement puissante », souligne la BBC. « Les poids lourds des tories ont commencé à l’encercler », note pour sa part The Times dans une métaphore macabre.

« Jubilant Jezza »

Le contraste n’en est que plus saisissant. Car de l’autre côté de l’échiquier, c’est bien les portraits souriants du chef de file des travaillistes, Jeremy Corbyn, qui sont affichés à l’envi par la presse britannique. Avec une trentaine de sièges gagnés, le Labour est la grande surprise de ce scrutin. Si le « parti travailliste est toujours loin de remporter la majorité », modère toutefois le BBC, le résultat a permis à Jeremy Corbyn, « mal-aimé » depuis deux ans au sein même de son parti, de « faire taire les critiques et gagner ses lettres de noblesse à Westminster ».

Quel est le secret de « Jubilant Jezza », comme le surnomme vendredi matin The Sun ? D’abord, une campagne « indéniablement réussie », rappelle le Irish Times, qui souligne qu’il y a cinq semaines, le parti travailliste accusait un retard de 25 points par rapport aux tories dans les sondages. Le 7 juin, devant une foule massive et sous un « arc-en-ciel miraculeux », le chef de file du Labour haranguait la foule une dernière fois. « Aucun autre politicien britannique n’est capable aujourd’hui de rassembler une foule de cette taille », note le quotidien irlandais.

Jeremy Corbyn, vendredi 9 juin, à Londres. | DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

« Beaucoup ont prédit qu’il conduirait le parti à une catastrophe électorale, mais M. Corbyn a tiré son épingle du jeu en gagnant la bataille idéologique sur le terrain », note le Financial Times. « C’est la fin de l’ère Tony Blair au Labour », conclut The Economist, pour qui Jeremy Corbyn « possède désormais le parti ».

« Le retour en puissance de ce système bipartite »

Mais ce n’est pas la seule raison du succès travailliste. Le parti a aussi fait « un festin des carcasses des petits partis et de l’UKIP », note The Times. Car cette « élection remarquable », comme le décrit le Guardian, est bien « le retour en puissance de ce système bipartite qui s’était effondré depuis près de vingt ans ». Chutant de 13 % en 2015 à 2 % lors du scrutin du 8 juin, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, extrême droite) est « assurément le plus gros perdant de la soirée ».

Un bouleversement politique que le Guardian analyse notamment comme « le retour en force du vote des jeunes ». « C’était une nuit où la jeune génération britannique a bandé ses muscles politiques. Pour la première fois, ça a eu un effet », peut-on lire sous la plume d’Alan Travis. Une donnée qui s’est additionnée avec « une alliance de votants anti-austérité dans les villes, et des anti-système qui ont abandonné le UKIP », analyse encore l’éditorialiste.

Mais l’élection est loin de rassurer la presse britannique. « Le processus du Brexit, qui s’avérait déjà compliqué, pourrait bien devenir encore plus difficile », relève The Independent. « Avoir un négociateur britannique faible pourrait signifier avoir un accord faible au bout du compte », note la BBC. Pour The Economist, la vision dure du Brexit défendue par Theresa May, celle basée sur un contrôle drastique de l’immigration, y compris européenne, et une sortie complète du marché unique, « a été rejetée, et doit être repensée ».

Si The Independent suggère d’abord un report des négociations, censées commencer le 19 juin, « il faudra peut-être une autre élection législative pour résoudre l’impasse dans laquelle nous nous trouvons ».