La livre sterling a chuté lourdement, vendredi 9 juin au matin, à l’annonce d’un Parlement sans majorité absolue. | GLYN KIRK / AFP

Dans les salles de marché, on avait prévu une nuit tranquille. Bien sûr, comme pour chacune de ces occasions politiques importantes, les banques et les fonds d’investissement avaient mobilisé du monde pour rester sur place toute la nuit. Barclays avait par exemple du personnel prêt à réagir à New York, Londres et Singapour, pour aider les clients en cas de besoin. Mais dans l’ensemble, la confiance régnait : les conservateurs étaient promis à une large majorité…

La mobilisation des traders s’est finalement révélée très utile. A 22 heures, heure de Londres, la projection de la BBC annonçait que Theresa May n’obtiendrait pas de majorité absolue. Immédiatement, la livre sterling a décroché. En quelques secondes, elle a chuté de 1,5 % face au dollar et à l’euro. La glissade a ensuite continué, et le recul atteignait 2 % dans la matinée de vendredi 9 juin.

« C’est le résultat que les marchés craignaient, estime Dominic Rossi, de Fidelity, un important fonds d’investissement. Les marchés avaient anticipé un autre résultat, et la confiance internationale dans le Royaume-Uni va souffrir. » Craig Erlam, analyste pour Oanda, une société de courtage en devises, renchérit :

« Un Parlement sans majorité absolue est le pire scénario pour les marchés. »

Et pourtant, il souligne qu’il n’y a pas de panique :

« Etant donné les circonstances, la réaction a été relativement bénigne. »

« Une impression de déjà-vu »

Rien à voir par exemple avec la panique de la nuit du Brexit, quand la livre sterling avait dévissé de plus de 10 %. Le marché actions a également réagi de façon modérée : le FTSE 250, qui comprend de nombreuses entreprises centrées principalement sur le marché britannique, recule de moins de 1 %.

L’une des explications est que les investisseurs se détournent déjà des marchés britanniques depuis le vote en faveur du Brexit. Selon Richard Colwell, du fonds d’investissement Columbia Threadneedle Investments :

« L’allocation d’actifs sur les actions britanniques est aussi basse qu’elle l’était en 2008, au pire de la crise bancaire. Il ne peut donc pas y avoir beaucoup d’argent qui quitte ce marché. »

Lucy O’Carroll, économiste en chef d’Aberdeen Asset Management, y voit aussi un signe que les marchés sont maintenant blasés :

« Il y a une impression de déjà-vu. Après tout, ces douze derniers mois, les marchés ont dû absorber les chocs du référendum sur l’UE et de l’élection de Donald Trump. »

Si le monde de la finance est calme, l’inquiétude en revanche est forte pour l’économie à moyen terme. Les négociations sur le Brexit devaient officiellement commencer le 19 juin. Faute de gouvernement, elles pourraient être repoussées. Or, le temps est compté : la période de négociation avec l’Union européenne arrive à expiration en mars 2019, et chaque moment perdu l’est au détriment du Royaume-Uni. Impossible pour un investisseur d’y voir clair dans ces conditions. « Tous ceux qui voulaient investir au Royaume-Uni vont désormais préférer attendre », affirme Gabriel Stein, économiste à 4cast-RGE.

Cela tombe mal, alors que l’économie est déjà en plein ralentissement. Au premier trimestre, le Royaume-Uni a connu la plus faible croissance des pays du G7, à 0,2 %. Avec l’inflation qui augmente à la suite de la chute de la livre sterling depuis un an, le pouvoir d’achat recule et les consommateurs se montrent plus prudents qu’avant. L’incertitude politique, si elle ne provoque pas de mouvement de panique à court terme, pourrait renforcer ces difficultés économiques naissantes.