A quelques jours des élections législatives, dans les circonscriptions ou dans les couloirs du Palais Bourbon, les visages sont fermés, les mines anxieuses. Et pas seulement parmi les députés qui remettent en jeu leur mandat : le renouvellement de grande ampleur qui se prépare à l’Assemblée va aussi avoir lieu en coulisse, et dans la douleur.

« Alors que les attachés parlementaires vont peut-être perdre leurs postes à la fin du mois de juin, beaucoup ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangés », témoigne Laure Dubuet-Routier, du Syndicat national des collaborateurs parlementaires (SNCP-FO). Entre ceux qui ne se représentent pas et ceux qui ne seront pas réélus, près de quatre cents nouveaux députés pourraient faire leur entrée dans l’hémicycle et, par conséquent, mille à douze cents assistants parlementaires — sur deux mille — pourraient se voir licencier à la fin du mois de juin.

« Lundi 19 juin, ça va être “Ground Zero”. Si ma députée n’est pas réélue, je dois faire mes cartons dans la foulée », dit une assistante parlementaire de droite. Les fins de législature sont depuis longtemps des périodes brutales pour les collaborateurs, mais ils s’en accommodaient jusqu’ici.

Crainte du futur « plan social »

Ce qui coince pour les syndicats qui se mobilisent depuis plusieurs mois, c’est le motif de rupture de leur contrat. Ils se battent pour faire reconnaître qu’il s’agit de licenciements économiques, et non pour « raisons personnelles », comme cela a toujours été le cas jusqu’à présent. Un détail administratif qui a son importance, car l’allocation chômage varie en fonction du motif. Il représente 57 % du salaire brut lorsque le collaborateur est licencié pour motif personnel, il serait de 75 % pour un motif économique.

Un front commun et « transpartisan » s’est organisé ces dernières semaines ; mardi 6 juin, des responsables du SNCP-FO, de la CFTC et de l’UNSA de l’Assemblée nationale et du Sénat s’exprimaient sur la place du palais Bourbon pour dénoncer les conditions du futur « plan social » qui s’annonce.

« Les parlementaires sont comme des chefs d’entreprise et il faut donc appliquer le licenciement économique. Nous nous basons sur le code du travail », plaide Thierry Besnier, du SNCP-FO. Un point de vue que ne partage pas du tout la première questrice socialiste, Marie-Françoise Clergeau :

« Il ne peut y avoir de licenciement économique, car le droit ne le permet pas actuellement. Le code du travail ne reconnaît pas le député comme une entreprise. Aujourd’hui, à la fin de ce mandat, nous n’avons pas d’autre possibilité que le licenciement pour raison personnelle. »

« Ce qui est regrettable, c’est qu’il n’y a jamais eu de député ni de questeur qui s’intéresse réellement à la situation des collaborateurs », reconnaît Mme Clergeau, députée depuis 1997. « Lorsque j’ai été élue questrice, en 2012, j’ai pris ce dossier en main. J’ai fait en sorte de mettre en place l’association de députés employeurs avec tous les groupes politiques. En novembre 2016, nous avons fait un premier pas vers un statut à part entière du collaborateur, cet accord collectif était vraiment historique. On a posé des bases solides, même s’il reste beaucoup à faire », se défend l’élue, qui ne se représente pas.

Pourtant, côté collaborateurs, l’enthousiasme n’est pas partagé. « Nous n’avons pas de réel cadre de négociations. Il manque un vrai dialogue social. Nous avons participé à des tas de réunions, mais c’était cosmétique », rétorque Mickaël Levy, secrétaire adjoint du SNCP-FO et collaborateur d’une députée LR.

D’un côté, les syndicats s’appuient sur un jugement des prud’hommes d’Avignon qui, en janvier 2017, a condamné le député LR Julien Aubert, qui avait licencié sa collaboratrice pour « raisons personnelles », après la fermeture de sa permanence. De l’autre, les services de l’Assemblée, qui gèrent la plupart des contrats des collaborateurs pour le compte des députés, appliquent une jurisprudence de la Cour de cassation remontant à octobre 1988.

Colère larvée

« C’est moralement difficile d’être licenciée pour raison personnelle, alors qu’il n’y a ni insuffisance professionnelle ni faute grave », assure Marine Lambert, collaboratrice du député PS de Meurthe-et-Moselle Hervé Féron, candidat à sa réelection. Pour, Laure Dubuet-Routier, collaboratrice parlementaire depuis 2012, « beaucoup de collaborateurs sont fatalistes, surtout ceux qui sont en circonscription ».

Son député est d’ailleurs l’un des rares à avoir pris fait et cause pour les collaborateurs. Il avait réussi à fédérer plus de deux cents députés de gauche et trois cent quarante-six collaborateurs autour d’une lettre envoyée en décembre 2016 à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée, et à Marie-Françoise Clergeau. En vain.

A la présidence de l’Assemblée, on soutient pourtant que M. Bartolone a « toujours défendu et mis en avant le travail des collaborateurs ». A titre de preuve, un membre de son cabinet fait valoir les mesures décidées à son initiative dès le début de la législature, telle la « nouvelle prime de 2 000 euros destinée à compenser une large partie du décalage entre licenciement économique et licenciement pour motif personnel ».

Saisir l’occasion de la loi sur la transparence

Les affaires Fillon et Le Roux ou les suspicions et les accusations sur la réalité de l’emploi des collaborateurs parlementaires n’ont pas été faciles à vivre pour les intéressés, comme le raconte l’un d’entre eux.

« La période Penelope Fillon a été terriblement dure à vivre pour nous. Nous, les “sans-statut”, alors que nous sommes dans le flou total, nous nous sommes retrouvés à défendre un outil de travail bancal, pendant deux mois, et pendant ce temps-là ni Marie-Françoise Clergeau, ni Claude Bartolone ne se sont exprimés et ils ont laissé l’antiparlementarisme fleurir. »

Toutefois, ces affaires ont eu le mérite de mettre en lumière le manque de transparence dans le domaine. « Les électeurs attendent davantage de clarté et moins d’opacité. Avant, tout le monde s’en fichait. Désormais, les citoyens demandent des comptes », se félicite une collaboratrice d’un député de droite.

Les syndicats de collaborateurs plaident donc pour une clarification de leur statut, et comptent bien s’appuyer sur le projet de loi « pour redonner la confiance dans la vie démocratique ». Portée par le ministre de la justice, François Bayrou, il doit être débattu à l’Assemblée en juillet.

« Il nous faudrait une convention collective pour l’ensemble des collaborateurs d’élus, pas uniquement de sénateurs et de députés, mais aussi ceux des départements, des régions et des villes. On partage les mêmes risques professionnels », dit Thierry Besnier. « Nous nous glisserons dans tous les interstices, toutes les possibilités qui se présenteront, nous les saisirons », assure Mickaël Levy, collaborateur d’une députée LR.

« Personne n’est certain de ce qui va se passer, et ceux qui disent le contraire mentent »

A la fin de 2014, les collaborateurs avaient déjà saisi l’occasion d’une réforme du règlement de l’Assemblée pour faire passer des amendements en ce sens par des députés bienveillants ; le Conseil constitutionnel l’avait, lui, été un peu moins, puisqu’il avait censuré ces dispositions, au motif qu’elles ne relevaient que du droit du travail et ne concernaient donc pas l’objet du règlement.

Pour l’heure, l’anxiété des fins de contrat s’additionne à l’inquiétude des élections. « Personne n’est certain de ce qui va se passer, et ceux qui disent le contraire mentent », souffle la collaboratrice d’un député LR. Certains pensent même à mener une action de groupe devant la justice. Des responsables syndicaux promettent de soutenir les collaborateurs qui iraient dans ce sens.

« Il n’est pas question de détourner les yeux de la situation de celles et ceux qui travaillent au sein de notre Assemblée », avait dit Claude Bartolone le 25 janvier en adressant ses vœux aux collaborateurs. C’est pourtant la désagréable impression qu’ont plusieurs collaborateurs parlementaires s’agissant de la situation dans laquelle ils sont actuellement plongés.