Tony Estanguet,  le 16 mai,  à Paris, lors de la visite de la commission d’évaluation du Comité international olympique. | FRANCK FIFE/AFP

Les Jeux sont-ils déjà faits ? A trois mois de la désignation de la ville hôte des Jeux olympiques d’été 2024, le 13 septembre à Lima (Pérou), un scénario inédit se dessine de plus en plus nettement du côté du Comité international olympique (CIO). L’institution présidée par l’Allemand Thomas Bach, qui avait regretté, fin 2016, que la course aux JO crée « trop de perdants », pourrait bien décider de ne pas faire de déçu entre Paris et Los Angeles, les deux villes candidates.

Un pas de plus vient d’être franchi en ce sens. Vendredi 9 juin, à Lausanne (Suisse), la commission exécutive du CIO a reçu le rapport des quatre vice-présidents chargés d’étudier la possibilité d’une double désignation des Jeux 2024 et 2028 en septembre. Constitué le 17 mars à l’initiative de M. Bach, ce groupe de travail, composé de l’Espagnol Juan-Antonio Samaranch Jr, de l’Australien John Coates, du Turc Ugur Erdener et du Chinois Yu Zaiqing, a rendu des conclusions favorables à une telle hypothèse – sans précédent.

En fin de journée, M. Bach a annoncé que « la commission exécutive du CIO [composée du président, des quatre vice-présidents et de huit membres, dont deux Américains] a approuvé à l’unanimité la recommandation du groupe de travail d’attribuer les Jeux 2024 et 2028 en même temps ». Trois des quatre membres du groupe de travail étaient pourtant sceptiques, il y a quelques mois, lorsque le président du CIO avait émis cette idée, mais tous sont des soutiens de l’Allemand. Leur fidélité les a conduits à valider le projet présidentiel, alors que les candidatures olympiques se raréfient ces dernières années.

Un « arrangement » déjà bouclé ?

« Il y a un proverbe allemand qui dit : C’est mieux d’avoir un petit oiseau dans la main que deux gros sur le toit. Là, nous avons deux gros oiseaux dans la main », a résumé Thomas Bach, alors qu’il était interrogé sur la déception de villes qui auraient voulu se porter candidates pour 2028. Il a ajouté que ce changement inédit ne nécessiterait pas de modifier la charte olympique.

Si, officiellement, l’ordre des villes n’est pas établi, Paris accueillerait les compétitions un siècle exactement après ses derniers JO. Et Los Angeles, moyennant des contreparties – notamment financières – concédées par le CIO, se verrait attribuer ceux de 2028. Considéré comme le plus probable par plusieurs observateurs du monde olympique ces dernières semaines, cet « arrangement » a été décrit comme quasiment bouclé par le Wall Street Journal dans un article publié le 30 mai. Il pourrait convenir aux deux villes comme au CIO.

La double attribution devrait être validée lors d’une session extraordinaire du CIO organisée à Lausanne, les 11 et 12 juillet, lors de laquelle Thomas Bach pourrait faire face à une opposition. En effet, les 98 membres du CIO perdraient ce qui reste leur plus grand privilège : le pouvoir d’attribuer les JO.

« Dans un monde idéal… »

Jusqu’à présent, Thomas Bach insistait sur le fait qu’un vote aura forcément lieu le 13 septembre à Lima, où les villes hôtes des Jeux 2024 et 2028 doivent être désignées. Le CIO transformera-t-il sa 130e session, ce jour-là, en simple chambre d’enregistrement d’un accord ficelé en amont entre les deux villes candidates et le président ? « Dans un monde idéal, il y aurait un accord entre les trois parties, le CIO et les deux villes, qui ne ferait que des gagnants. Mais ces négociations ne pourront commencer qu’en juillet, après Lausanne », a reconnu M. Bach, qui tient toutefois à respecter son calendrier afin de ne pas froisser les membres du Comité olympique.

« Tout, ces dix-huit derniers mois, a été décidé par un tout petit groupe sans la moindre consultation »

« Tout, ces dix-huit derniers mois, a été décidé par un tout petit groupe sans la moindre consultation, déplore un vétéran du CIO, jadis l’un de ses membres les plus puissants. C’est l’un des problèmes que la direction du CIO devra résoudre en cas de double attribution. Il lui sera répondu : “Voilà des concessions qui pourraient nous inciter à valider votre choix. Peut-être est-ce le moment d’élargir les pouvoirs de vos membres.” » M. Bach a tenu à rassurer les membres du CIO en soulignant à plusieurs reprises que la décision finale leur appartiendrait, ajoutant : « Nous ne pouvons pas décider cela unilatéralement. »

Des discussions ont déjà eu lieu en avril, au Danemark, au cours desquelles Los Angeles a semblé disposée à accueillir les JO dans onze ans, au lieu de sept. Le maire de Los Angeles, Eric Garcetti, a récemment déclaré qu’accueillir les Jeux serait « une occasion de se réjouir », sans pour autant préciser de date.

Pour LA, « une occasion d’être utile »

Par un communiqué, publié mercredi 7 juin, le chef de file de la candidature californienne, Casey Wasserman, a donné encore plus de crédit à cette stratégie, paraissant même « concéder les JO 2024 à Paris », comme l’a hâtivement titré le site spécialisé Inside the Games. « Los Angeles est la ville hôte idéale pour accueillir les Jeux de 2024 et être partenaire du mouvement olympique, a rapidement rectifié Jeff Millman, le directeur de la communication de la candidature américaine. Elle ne concède rien dans la course pour les Jeux de 2024. »

« Pour être franc, dans LA 2024, il n’a jamais été question uniquement de LA ou uniquement de 2024 »

Le texte de Casey Wasserman, titré « Une occasion d’être utile », apparaît pourtant comme une perche tendue au CIO. « Pour être franc, dans LA 2024, il n’a jamais été question uniquement de LA ou uniquement de 2024. (…) Quand la question de la double désignation a été soulevée pour la première fois, nous n’avons jamais dit “LA en premier” ou “C’est maintenant ou jamais pour LA”, ce qui ressemble à un ultimatum. Nous aurions pu employer cette stratégie, mais nous ne l’avons pas fait car nous pensions présomptueux de dire au CIO ce qu’il devait faire et comment penser. Nous sommes de meilleurs partenaires que cela. »

Une allusion à la position intransigeante de Paris et de son chef de file, Tony Estanguet, qui assure que c’est « maintenant ou jamais » et que 2028 n’est pas une option envisageable, en raison notamment de la construction du village olympique, qui ne pourrait attendre quatre années supplémentaires.

« Partie de poker menteur »

« On est en phase de négociations, c’est une partie de poker menteur, juge Armand de Rendinger, journaliste indépendant spécialiste de l’olympisme et auteur de La Cuisine olympique. Quand la France se pique aux Jeux (Temporis, 2016). Or le CIO peut plus difficilement négocier avec un Etat, comme celui qui est derrière la candidature de Paris, qu’avec des intérêts privés, tels ceux qui soutiennent celle de Los Angeles. »

La négociation consiste à obtenir, pour celui qui ne se verra pas attribuer les JO 2024, le plus d’avantages possible pour 2028. Une course dans laquelle est déjà entrée Los Angeles, au risque de sembler se désintéresser des Jeux de 2024. « Les JO de 2024 auront une plus grande valeur symbolique et politique – c’est l’approche européenne – mais en termes économiques, pour la ville organisatrice, 2028 sera une meilleure affaire », anticipe Armand de Rendinger.

Le maire de Los Angeles a déjà insisté sur la nécessité pour ses plus jeunes administrés d’avoir accès à des équipements sportifs, au financement desquels le CIO pourrait contribuer. Ce qui permettrait à la mégalopole californienne d’organiser ses JO à moindres frais, comme en 1984. Mais M. Bach a refusé vendredi d’évoquer clairement de possibles compensations pour la ville qui accueillera les Jeux en 2028 : « Je ne pense pas que vous ayez besoin de récompenser quelqu’un à qui vous offrez un cadeau. »