« A Way Out », une  allure extérieure de série télé, pour un jeu qui casse les codes formels du jeu vidéo. | EA

« Personne ne me dicte ce que je dois faire. La seule chose qui décide ici, c’est le boum-boum », exhorte Josef Fares en se tapant la paume contre le cœur. Samedi 10 juin, dans cette salle de présentation fade et exiguë de Los Angeles, ville où se déroule le Salon du jeu vidéo de l’E3, la parole libérée du directeur créatif d’A Way out sonne comme un cri de rage salvateur.

Respecter les cadres ? Cela n’intéresse guère ce cinéaste libano-suédois au caractère charmeur et exubérant. Il a fait le spectacle sur scène lors de la conférence de son éditeur, Electronic Arts, mais affiche vis-à-vis de ce dernier une insolente liberté. « Même Electronic Arts ne me dicte pas ce que je dois faire. Sinon je les enverrais se faire foutre. Désolé de le dire », prévient-il avec entrain.

A Way out, étrange jeu d’aventure aux multiples facettes, est à la fois l’annonce la plus inattendue de ce début de Salon et le reflet de sa créativité iconoclaste. « Toutes mes idées sortent de mon cerveau malade. Il n’y a pas un seul développeur qui raisonne comme moi. Tous les jours quand j’arrive au bureau, je dis à mes équipes : faisons tout péter », lance-t-il en éclatant de rire. « A Way out [un moyen de se sortir], c’est un titre qui peut aussi bien parler de prison que de la vie en général », dit-il tout sourire.

A Way Out Official Gameplay Trailer

Et de fait, il y arrive. Les carcans traditionnels du jeu vidéo, sa nouvelle production s’en affranchit avec insolence. De même que l’obligation d’être deux pour jouer au jeu, en coopération, sans égard pour le bon sens commercial. A l’image de l’un de ses deux anciens taulards de héros, Vincent, au nez proéminent et aux traits prononcés – modelés à partir de son propre frère, loin des protagonistes lisses et stéréotypés. A l’image, surtout, du jeu lui-même, et à ses multiples innovations formelles.

« Si vous êtes déçue, pétez-moi le genou »

Dans l’une des deux séquences présentées, une scène de braquage, Leo et Vincent collaborent pour attaquer une station d’essence. Mais pour cela, il leur faudra se mettre d’accord – et leurs joueurs respectifs avec – pour savoir qui fait quoi, par exemple avec l’unique pistolet dont ils disposent. Ici, pas vraiment d’action, mais des dialogues à embranchement à la manière de The Walking Dead, mais à deux. « Si vous ne vous parlez pas entre vous, vous êtes foutus. Le jeu a été créé ainsi », se félicite Josef Fares. Dans une autre scène, cette fois à l’hôpital, l’un des joueurs cajole un nouveau-né pendant que le second erre avec désinvolture dans les couloirs. Chacun vivant sa vie, libre de collaborer, ou non – seule une ligne départageant leurs deux écrans respectifs.

Cette ligne, justement, n’est pas fixe. Une cinématique s’engage, et la voilà qui occupe les deux tiers de l’écran. Le second joueur peut alors se déplacer dans le cadre de celle-ci, et littéralement « photobomber » la scène préenregistrée, faisant au passage éclater la vieille opposition structurante entre cinématique et scène de jeu. Plus insolent encore, la séquence de l’hôpital se transforme en course-poursuite avec la police. Voilà que l’écran se focalise tout entier sur un personnage chacun à son tour, dans une sorte de montage alterné de scènes d’Uncharted. Ce sont alors des travellings fous – la caméra passant par une bouche d’aération pour retrouver le second protagoniste à deux étages d’écart – qui continuent de relier en permanence les deux héros, sans plus les montrer en même temps.

Josef Fares jure qu’A Way out, qui est attendu pour le début de l’année 2018, contiendra pléthore d’autres idées de mise en scène jamais vues. A une spectatrice qui se moque de tant de promesses, le fantasque designer lui rit au nez :

« Vous savez quoi ? Attendez que le jeu sorte, et si vous êtes déçue, venez à Stockholm, prenez un club de golf et éclatez-moi le genou avec. Je me laisserai faire. Mais ça n’arrivera pas. C’est pour vous dire à quel point je suis confiant. »

Si le jeu est ne serait-ce qu’à moitié aussi imprévisible que son créateur, il y a des raisons de l’être aussi.